Après un premier tome (et premier roman) qui plaçait déjà la barre très haut, R. Scott Bakker parvient malgré tout à se surpasser. Plus dense, plus intense, plus épique : « La guerrier prophète » fait partie de ces expériences de lecture qui vous marquent et vous hantent avec une acuité surprenante des années après avoir refermé le roman. On y retrouve le monde d'Eärwa exactement là où on l'avait quitté à la fin « D'Autrefois les ténèbres » : après bien des obstacles, les Inrithis se mettent finalement en marche pour libérer la ville sainte de Shimeh tandis que, dans l'ombre, la Consulte manigance afin de s'assurer les bonnes grâces des puissants. Outre le départ des Fidèles, ce tome ci se concentre surtout sur l'ascension d'un homme, Anasûrimbor Kellhus, leader charismatique aux desseins ambiguës devenu pour ses disciples le « guerrier prophète » et l'annonciateur d'une nouvelle apocalypse. On est maintenant davantage à l'aise avec la multitude de peuples, langues et histoires façonnés par l'auteur et il devient de plus en plus difficile de lâcher le roman dont la lecture finit par se révéler presque addictive malgré (ou peut-être justement grâce à) un haut degré de concentration exigé. L'intrigue se fait pour sa part plus rythmée et atteint son apogée lors de plusieurs scènes à couper le souffle tant elles sont d'une intensité et d'une poésie rare (je me suis surprise à plusieurs reprises à éprouver les mêmes sensations qu'à la lecture d'un Guy Gavriel Kay, c'est pour vous dire !).
Difficile par exemple d'oublier le combat de la Plaine de la bataille, l'atroce et interminable traversée du Désert de Carathay ou encore les horreurs de la prise de la ville païenne de Carascande. Si vous aimez comme moi les affrontements épiques, vous allez être servis ! L'auteur ne fait pas les choses à moitié et nous offre des batailles magistralement orchestrées qui se hissent en ce qui me concerne sans mal dans le palmarès des scènes de combat les plus immersives et les plus poignantes que j'ai pu lire. « Ils étaient venus des manoirs au sol paillé de Galéoth où les chiens soupaient avec leur maître; des forêts-frontières de Thunyérus, immenses et profondes, où les srancs menaient leur sempiternelle guerre sans but ; des salles de Ce Tydonn où les thanes aux cheveux longs dénonçaient les races bâtardes ; des grands domaines de Conriya où des palatins aux yeux noirs faisaient un trophée de leur passé ; et des plaines torrides de la Haute-Ainon où des nobles de caste peints se frayaient par la force un chemin à travers les rues grouillantes. Huit saisons auparavant, le Shriah des Mil Temples avait demandé, et ils étaient venus ... les Hommes de la Dague. » Au delà de la qualité de la plume de l'auteur, si l'on s'investit à se point dans le récit c'est aussi et surtout grâce au soin apporté à la personnalité de chaque personnage. De la prostituée repentie Esmenet au sauvage et torturé Cnaïur en passant par le scolastique Drusas Achamian ou le prince Proyas, R. Scott Bakker nous livre une galerie de personnages inoubliables et d'une humanité touchante en dépit (ou peut-être encore une fois à cause) de leur indéniable noirceur.
Avec « Le guerrier prophète », R. Scott Bakker signe un roman de fantasy exceptionnel dont la lecture se révèle extrêmement marquante sur le moment et dont le souvenir perdure des années après. Et ça, c'est bien la marque d'un très grand roman !
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Décidément, je ne comprends toujours pas pourquoi cette série est si peu connue. Si je devais trouver un auteur qui dans la complexité fait autant que ce livre, je dirais certainement Erikson. Et pourtant, l'univers reste quand même plus accessible et je trouve les personnages encore plus attachants que chez ce dernier. Même si cela reste très inspiré de la première croisade, le côté magique, cette guerre entre factions pour son contrôle, le vocabulaire inventé, les personnages ainsi que l'écriture rendent ce roman merveilleux.
Cette trilogie sera probablement mieux comprise comme une histoire qui se trouve être divisée en trois sections, chaque livre remplissant une partie de la structure traditionnelle en trois actes . le premier livre nous a présenté les personnages principaux et leurs diverses relations ainsi que les enjeux, le second se trouve être l'approfondissement du premier et le début de l'action.
Donc grossièrement, une grosse migration d'environ 300 000 croisés à la foi Inrithi vont aller tabasser du musulmans euh je voulais dire des Fanim. On ne suit pas des gentils, les uns vont essayer de repousser l'envahisseur, les autres violent, pillent et passent au fil de l'épée tout ce qui bouge pour aller récupérer la sainte cité. Et plus on avance dans l'action, plus les personnages que l'on suit vont prendre de l'importance. On suit bien le destin de la guerre sainte.
Le livre décrit 3 batailles assez habilement. Ce ne sont souvent pas une bataille unifiée mais des dizaines de petites batailles rangées le long d'un grand front que les chefs militaires ont du mal à coordonner au milieu du chaos. Bakker passera occasionnellement à une vue omnisciente pour donner au lecteur une meilleure compréhension des événements majeurs. Dans ce livre, il l'utilise efficacement pour décrire ces grandes batailles lancées. Il s'agit pour la plupart d'une vue de haut en bas et transmet le flux d'action et sa sauvagerie sans être lié à un point de vue individuel. Il est plutôt efficace, rendant les combats cinématographiques au lieu d'être contraints à une poignée de POV.
Mais la guerre et les batailles ne servent que de toile de fond à la trajectoire de nos quatre personnages principaux: Khellus, Aka, Esmenet et Cnaiür. Pour moi, le plus fascinant reste Khellus, qui poursuit sa quête pour retrouver son père. Il a décidé que la seule façon d'arriver à son père, qui réside dans la ville sainte, est de renverser la guerre sainte à ses propres fins. Oui, son plan est essentiellement de détourner une armée de plus de 300 000 hommes et tout un groupe de nobles et sorciers les plus puissants du monde. Mais il a un plan et il a les capacités pour le réaliser car il comprend ce qui fait bouger les âmes des hommes. Il voit comment l'histoire et la culture du peuple des Trois Mers peuvent être manipulées par lui pour accroître son influence sur tout le monde, de l'esclave au Grand Nom.
Ce livre nous apporte également plusieurs batailles magiques bien jouissives. Il est sacrément impressionnant de voir exactement ce dont Aka est capable lorsqu'il est provoqué à ses derniers retranchements. La magie de cet univers est bien bourrine, dommage j'aurais aimé et voir et savoir un peu plus quand même. J'espère qu'elle sera expliquée plus en détail dans le dernier tome. Je trouve aussi que la Consulte aurait mérité un peu plus de révélation, il est vrai que cette menace reste bien mystérieuse encore.
Comme je le disais, la relation entre personnages est complexe et plaisante. Elle va beaucoup évoluer au fil des péripéties, les personnages secondaires sont tout aussi complexes, la plume de l'auteur fait que l'on ne ressent aucune longueur. On retrouve des scènes du début à la fin d'une intensité remarquable. Certains peuvent voir de la misogynie présente dans ce livre je suppose. Pour ma part, je trouve que ce monde est dépeint comme sexiste. Il n'y a pas forcement de femme de pouvoir mais je trouve que Esmi et Serwë sont complexe et fascinante à leur manière.
Pour conclure, oui j'ai adoré ce roman qui raconte une histoire fascinante aux personnages très intéressants. Un roman bien dosé en action et en propos philosophique qui m'a tenu en haleine du début à la fin et avec des moments à l'intensité dramatique magistrale. Je recommande à tout fan de Dark Fantasy.
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Mais ceux qui étaient encore debout ne pouvaient être brisés. Les hommes de fer avaient ranimé leur chant, et le chant avait ranimé leur violente ferveur. Le martèlement des tambours faiblit, puis fut totalement noyé. Des milliers de voix et un chant. Des milliers d'années et un chant.
"C'est pour la guerre que nous sommes venus là,
C'est pour la mort que nous travaillerons,
Et lorsque la journée s'achèvera,
Dans nos yeux les Dieux Rôderont!"
Aucune décision n'est si brillante qu'elle ne nous engage par ses conséquences. Aucune conséquence n'est si inattendue qu'elle nous absolve de nos décisions. Pas même la mort.
Les prophètes morts étaient utiles, parce que l’on pouvait
gouverner en leur nom. Mais des prophètes vivants ?