Au repas, Violette remarqua que je ne buvais pas d'alcool.
« Je suis surprise, dit-elle, Vous n'en avez pas bu hier soir non plus.
— Je ne bois jamais d'alcool.
— Je crois pourtant me souvenir de vins et d'absinthe dans vos textes...
— Il ne faut pas croire tout ce que j'écris, répondis-je très sincèrement.
— Comment discerner le vrai du faux, alors ? Je me doute bien que ces histoires de loups-garous et de sortilèges sont des métaphores, mais... l'amour ? »
Elle est restée suspendue à cette fin de phrase, comme prise en faute, rougissant soudainement.
« J'exagère tout ce que j'écris, sauf pour l'amour, que je suis bien obligé d'atténuer afin de le rendre descriptible. »
Cette réponse toute faite produit toujours son effet.
Toutefois, si le trouble de Violette était visible, le mien devenait de plus en plus difficile à dissimuler.
La nuit suivante, je rêvais à nouveau d'elle. Sa chevelure, son visage rond, ses yeux d'une incroyable douceur, sa manière de rougir gentiment à chaque phrase prononcée... Aux creux du rêve elle me donnait rendez-vous dans le salon. Et aussitôt je m'éveillais.
Dans ce genre de situation il y a deux possibilités. Soit on se rendort, soit on va dans le salon constater que personne ne nous y attend, puis on vient se rendormir.
« Nous sommes en sécurité, répétai-je.
— Vous ne savez pas ce qu'il peut faire. Je l'ai vu entrer dans des pièces fermées à clef. Je l'ai vu abattre des hommes deux fois plus forts que lui. J'ai vu des gorges déchirées par sa bouche.
— Et à quoi ressemble-t-il ?
— Je ne sais pas vraiment. A un homme brutal. Je ne l'ai toujours aperçu que dans la pénombre. Il a croisé un miroir, une fois, mais ne s'y est pas reflété...
— Il ne tue que la nuit ?
— Oui. Vous serez sûrement le prochain. Il tue tous ceux qui dorment auprès de moi. »
Lanie était assez charmante pour que l'on puisse vouloir passer la nuit avec elle. Mais je m'intéressais surtout à son vampire.
« Quelles sont vos qualifications, au juste ? me demanda-t-elle.
— J'ai connu de nombreuses histoires surnaturelles.
— C'est tout ? Il s'agit là d'un fou, d'un tueur ! Pas d'une farandole de fées !
— Je suis mort, une fois, et j'ai tué un homme, affronté un fantôme, changé de corps...
— Très bien, très bien. Alors qu'est-ce que vous me conseillez ?
— Passez la nuit avec moi. Je ne dormirai pas, je me tiendrai prêt.
— Et s'il vous tue, comme les autres ?
— S'il me tue, je vous paie un verre.
— Très drôle. »
Les premières pages du roman "Lucie Corvus contre Mister Poiscaille" de Nico Bally lues et enregistrées par Marie Tinet (Ondes littéraires).