AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782757889411
272 pages
Points (08/04/2022)
  Existe en édition audio
4.42/5   256 notes
Résumé :
" Être visibles. Marcher dans la rue sans peur. Exprimer haut et fort nos opinions. C'est ce que la société interdit aux femmes. Et c'est le programme de ce livre. Messieurs qui tenez les manettes, si vous voulez régler le problème, les chercheuses et militantes féministes ont fait le boulot.
Les mécanismes sont identifiés, les solutions existent. Tout est là. Ce qu'il manque maintenant, c'est votre volonté.
Or, chaque jour, on constate qu'elle est nul... >Voir plus
Que lire après Présentes - Ville, médias, politique... Quelle place pour les femmes ?Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (22) Voir plus Ajouter une critique
4,42

sur 256 notes
5
13 avis
4
7 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis
Je ne sais pas par ou commencer.Ce livre est un pépite.Il est à faire lire au plus grand nombres et surtout dans les écoles.
C'est un des indispensables dans une bibliothèque.
J'ai mis certaines passages du livre évidement ce n'est qu'une goutte d'eau par rapport à ce Lauren Bastide a écrit.
Un immense merci à elle pour ce magnifique essai.En fonction de nos propres sensibilité vous allez être plus intéressé à des sujets.
Au fils des pages lui, j'ai toujours trouver la même émotion une envie profonde que les choses avance bien.
Ce livre rend hommage à toutes les femmes de l'ombre. Elle fait en 250 pages un tour assez larges des combats féministes actuelle .
Son travail de recherche concernant les chiffres est remarquable.J'espère qu'elle sortira des nouvelles de versions de livre car cela vaut le cou de constater l'évolution de certaines statistiques. Son travaille donne envie d'assumer fièrement sa différence.Croisons les doigts pour qu'il sorte vit en poche afin que le plus grande nombre puisse en profiter
Pour ma part, si il y a avait un élément majeur à retenir du livre c'est le terme de silenciation. Il est crucial car c'est une des clés de pourquoi il y a encore ce plafond de verre sous la tête des victimes.Merci pour nous faire réfléchir.Parler est important.
Une chose est sur c'est que doucement les mentalités évoluent, on trouve des coins lectures féministes dans petites librairies de quartier. (il y moins de cinq ans arrière ce n'était pas le cas).Pour avoir son livre j'ai du le commander pour être sur de l'avoir.
Le final du livre est magistral.Long vie à elle est son travaille et ses idées.
Commenter  J’apprécie          170
L'autrice est la créatrice du podcast La Poudre qui donne la parole aux femmes. Dans cet ouvrage, elle compte. Parce que c'est en comptant que l'on prend conscience de la sous-représentation des femmes dans tous les espaces et médias. Les statistiques et chiffres composent une démonstration irréfutable : les femmes sont encore largement minoritaires, partout. « Ça fait des siècles qu'on associe le discours des femmes à une certaine forme d'irrationalité, voire d'hystérie, qui préconditionne toutes leurs prises de parole publiques et façonne les perceptions de leurs discours. Les femmes sont condamnées à être les Cassandre de la société, celles qui disent toujours la vérité et qu'on ne croit jamais. » (p. 183) Alors, pour se faire entendre, elles créent des espaces pour parler des sujets qui les concernent – et tous les sujets les concernent – puisqu'on ne leur donne pas ou peu ou mal la parole dans les espaces existants, souvent dirigés par des hommes et principalement ouverts aux hommes. « C'est pour moi le geste le plus féministe qu'on puisse accomplir : créer des espaces où les récits des femmes peuvent se déployer sans entrave. » (p. 199) Mais au-delà de ça, il faut adapter les espaces, tous les espaces, aux femmes et non l'inverse. Et leur ouvrir tous les espaces : public, artistique, scientifique, médiatique, politique, sportif, etc.

Laurent Bastide aborde de nombreux sujets qui tous rejoignent la question du féminisme : intersectionnalité, patriarcat, validisme, lesbophobie, grossophobie, homophobie, racisme, harcèlement de rue, port du voile, mansplaining, cyberharcèlement, plafond de verre, plafond de mère, etc. « J'aimerais ne plus entendre que le féminisme constitue une sorte de police de la pensée qui obligerait la société à se conformer à sa vision. » (p. 181) le ton est assez piquant, mais surtout limpide, criant d'évidence et hurlant de vérité. L'autrice emploie les mots justes, surtout s'ils fâchent. Les notes de bas de page sont pertinentes non seulement parce qu'elles renvoient à des sources qui semblent innombrables, mais surtout parce qu'elles donnent le nom des hommes en tout petit : dans le corps de texte, c'est celui des femmes qui est au centre, pas celui de leurs bourreaux et pas celui des oppresseurs. Et la bibliographie en fin d'ouvrage est monumentale, à double titre : grand nombre de références et mise en avant de productions féminines.

L'amie qui m'a offert ce livre estime que chaque femme devrait l'offrir à une autre femme, pour que toutes aient accès à cette démonstration indispensable. Et pour moi, cette lecture a été aussi fluide et impactante que Moi les hommes, je les déteste.
Commenter  J’apprécie          100
Cela faisait de nombreux mois que cet essai de Lauren Bastide attendait dans mes étagères, et je regrette un peu de ne pas l'avoir lu plus tôt, pour deux raisons que je vais développer.

D'abord, "Présentes" est vraiment un ouvrage facile à lire, simple d'accès même pour des personnes n'ayant pas l'habitude de lire des essais. Lauren Bastide y synthétise le fruit de 9 conférences animées entre 2018 et 2019 avec des penseuses et militantes féministes sur la place des femmes dans l'espace public, à savoir dans la ville, dans les médias, dans la vie politique, et propose des pistes pour améliorer la représentation de toutes les minorités. En partant de données chiffrées, objectives, elle démontre la sous-représentation des femmes, et plus largement de toutes les minorités, qu'on parle de couleur de peau, d'orientation sexuelle ou encore de handicap...

Son objectif ? Donner aux minorités la force de prendre la parole, laisser chacune faire ses choix et aller vers une société plus tolérante et plus inclusive, vers un espace public qui serait le reflet réel de notre société plurielle et non plus un miroir déformant d'une société blanche, principalement masculine et intellectuellement supérieure.

Mais la deuxième raison pour laquelle j'aurais aimé lire cet essai plus tôt, c'est que je n'aurai pas été perturbée dans ma lecture par les récentes polémiques autour de la posture de l'autrice qui, derrière ses belles paroles, n'en demeure pas moins le fruit de la société qu'elle dénonce, issue d'une classe supérieure blanche qui, volontairement ou non, reproduit dans ses actions certains travers qu'elle pointe du doigt chez les autres (et notamment chez les hommes).

Si je me suis totalement retrouvée dans bien des réflexions de Lauren Bastide, si je porte un regard qui évolue fortement depuis plusieurs années sur la place faite aux femmes, je constate aussi que faire coïncider ses pensées et ses actes est parfois très difficile, pétris que nous sommes d'une culture et d'une éducation... J'aurai beau lire sur le racisme ou les discriminations sexuelles, je ne pourrai jamais comprendre ce que peuvent vivre des femmes noires, asiatiques, lesbiennes ou trans dans leur quotidien, moi qui suis blanche, cis, hétérosexuelle et valide...

Si "Présentes" est un ouvrage particulièrement intéressant à lire, riche en bibliographie, il sera à compléter par d'autres textes consacrés aux minorités mentionnées et écrites par des personnes issues de ces minorités. Dans le genre, je vous recommande par exemple "Féminisme et pop-culture" dans lequel j'ai apprécié le regard porté par Jennifer Padjemi sur la place des personnes noires ou asiatiques notamment à l'écran.
Commenter  J’apprécie          40
"Ce qu'il y a de plus redoutable dans l'invisibilisation des femmes, c'est qu'elle est invisible."

Bon, jusqu'à ce qu'on en prenne conscience et alors c'est la claque permanente. Réunion de rentrée dans la classe de ma fille, 9 ans. Une fresque immense sur un mur avec des noms de personnes célèbres. Que des hommes évidemment !🤬

D'où le besoin de lire des livres comme celui de Lauren Bastide et surtout de le faire lire à d'autres, que l'on prenne enfin conscience de ces inégalités de représentation. C'est secondaire les femmes, surtout si elles ne sont pas blanches, bien portantes, hétéros... Pour ces dernières, c'est la double ou la triple peine. Les femmes qui ont la chance d'être représentées le sont comme objet de désir, (vive la culture du viol !), mais comme sujet parlant, surtout pas ou si peu... 😭

En 3 parties, "Présentes dans la ville", "Présentes dans les médias", "Présentes en résistance", Lauren Bastide montre cette invisibilisation avec pédagogie et mordant, chiffres et référence à l'appui. Elle propose aussi des solutions comme les quotas, mais que l'on peine encore à mettre en place. "On" étant les personnes aux postes de pouvoir qui sont essentiellement des hommes blancs qui ne voient pas le problème. Etonnant, non ?

"Oui, en appliquant des quotas, il existe le risque que certaines femmes à la valeur artistique discutable soient produites, exposées, éditées. Et alors ? Combien d'hommes médiocres occupent aujourd'hui les rayons des librairies avec des ouvrages qui seront oubliés 2 mois après leur sortie ? [...] L'égalité entre les hommes et les femmes sera atteinte lorsque les femmes auront droit à la même médiocrité que les hommes."

Disons JE, créons des espaces de paroles et de visibilité. Ecoutons ce que TOUTES les femmes ont à dire. C'est ce que fait Lauren Bastide depuis des années grâce à son podcast La Poudre, ses conférences, ses livres. Merci pour ce travail essentiel 🖤🖤🖤
Commenter  J’apprécie          60
Dernier livre lu en 2020, Présentes de Lauren Bastide méritait bien sa critique.
Ancienne journaliste de Elle, Lauren est aussi créatrice du podcast La Poudre qui donne la parole aux femmes actrices, chanteuses, écrivaines, activistes sur leurs parcours professionnels et de de femmes avec des questions telles que « Nait-on femme ou le devient-on? » « Quel rapport avez vous à votre utérus? ». J'adore ce podcast où elle laisse totalement la parole à ces femmes. Je me reconnais dans certaines, pas dans d'autres et c'est toujours intéressant.
Lauren Bastide a également organisé des soirées débats en 2919 au carreau du temple et ce livre est en grande partie issu des réflexions faites lors de ces soirées. Avec les réflexions d'Alice Coffin, Rockhaya Diallo, Anais Bourdet,...
Extrêmement bien documenté, les chiffres font froid dans le dos. C'est également très informatif de la situation actuelle en France sur le patriarcat, la culture du viol et la non-représentativité des femmes dans toutes les sphères de la vie publique. Et elle donne des clés, des solutions connues de tous mais non appliquées (les quotas et aussi cela m'a étonnée des trottoirs plus larges).
Un de mes exemples préféré: dans la rue si deux personnes marchent l'une vers l'autre sur la même trajectoire, c'est systématiquement la femme qui va céder la place. Sans même y réfléchir, c'est le conditionnement qui nous fait nous écarter. Elle a tenté de ne plus s'écarter: elle s'est fait démontée l'épaule oar plusieurs hommes éberlués qui n'ont pas un instant envisagé de s'écarter devant elle. C'est un des exemples qui m'a le plus marqué et interpellé. C'est le conditionnement dont on ne se rend même plus compte aussi bien les hommes que les femmes.
Je dois aussi avouer que ce livre m'a déprimé a de très nombreuses reprises quand je vois le chemin qu'il reste à parcourir et notamment en terme d'inclusion. Car comme le dit Lauren, quand on est féministes, on se doit aussi de lutter contre le validisme, la grossophobie, la lesbophobie, la transphobie, l'islamophobie et TOUTES les formes de racisme!
Un livre nécessaire et qui conviendra à tous ceux qui veulent comprendre le féminisme actuel!
Commenter  J’apprécie          10

Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Il y a beaucoup de raisons qui font que le harcèlement de rue n’était pas,
en 1995, considéré comme une atteinte fondamentale au droit des femmes à circuler librement dans l’espace public. Déjà parce qu’en France – etaujourd’hui encore – ce comportement masculin a tendance à être considéré comme un patrimoine (ici, bien nommé) national. Combien de scènes de comédies où deux compères, complices, se tiennent les côtes et gloussent en sifflant les femmes, assis à une terrasse devant une bière ? Combien de chansons célèbrent l’art de mater les filles ? C’était d’ailleurs l’une des grandes craintes des signataires de la tribune sur « le droit d’importuner » à laquelle je faisais référence en introduction. La crainte que ne disparaissent les mains aux fesses, qui sont à la France, un peu comme le bordeaux ou le saucisson, des trésors culturels.

La France a vraiment une façon bien à elle de répondre au problème du
harcèlement de rue. On a d’un côté la « séduction à la française », souvent
défendue par de vieux chroniqueurs radio et de grandes bourgeoises qui
s’émeuvent dans la presse féminine du fait qu’Anatole, leur rejeton de 17
ans, ne sache plus s’il a le droit de draguer (« Le pauvre est complètement
paumé »). Et puis de l’autre, on a les Noirs et les Arabes. Oui, parce que
lorsque le harcèlement de rue est exercé par des jeunes hommes « issus de
l’immigration », il devient un fléau. Dans ce cas, siffler les filles n’est plus
une amusante tradition, mais un supplice infligé aux belles Françaises qui
ne peuvent plus se promener en cuissardes comme au bon vieux temps. On
retrouve dans cet imaginaire des relents coloniaux qui font des hommes
racisés les premiers suspects et les premières cibles des contrôles au faciès
et des violences policières. Je vous renvoie à la philosophe africaine-
américaine Angela Davis , ou à l’essai Marianne et le garçon noir, dans
lequel l’autrice Léonora Miano explore, à travers des témoignages,
l’altérisation des hommes noirs sur le territoire réel et symbolique de la
République française . Ce sont les quartiers populaires qui sont montrés du
doigt. Le harcèlement de rue, c’est là-bas, au pied des tours, qu’il est sexiste
et dangereux.

L’acharnement médiatique à ce sujet est fascinant. On peine, en dehors de
la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars, à faire parler des féminicides – une femme assassinée par son conjoint ou ex-conjoint tous les deux jours en 2019 . Les sujets féministes sur lesquels les associations et les militantes travaillent d’arrache-pied toute l’année (violences gynécologiques, discrimination salariale, charge mentale, violences sexuelles) sont magistralement et systématiquement ignorés par les médias traditionnels. Rien à cirer. Problème de femmes. Par contre, un bar PMU fréquenté par des hommes musulmans, dans un quartier populaire qui, selon la rumeur, n’accepterait pas la présence de femmes en son sein peut tenir les chaînes d’info en haleine pendant plusieurs semaines.

Évidemment, l’idée n’est pas d’occulter le harcèlement de rue qui se produit dans les quartiers populaires, il existe. Mais le pointer du doigt tout en minimisant les agissements sexistes qui se produisent partout ailleurs – dans les conseils d’administration des grandes entreprises, dans les couloirs feutrés des rédactions des chaînes de télé, dans les bureaux de l’Assemblée nationale, dans les foyers de la classe moyenne et aisée – revient à stigmatiser une partie des citoyens tout en masquant dangereusement l’ampleur et l’omniprésence du phénomène.

Encore une fois, le travail d’Anaïs Bourdet avec sa plateforme en ligne Paye ta shnek a été exemplaire sur ce sujet. Depuis 2012, elle a compilé plus de 15 000 témoignages de femmes ayant subi du harcèlement dans l’espace public. Sous chaque publication figurent la date et le lieu du harcèlement, comme un antidote à la croyance selon laquelle celui-ci serait le propre des quartiers populaires.

« On dévoie des sujets féministes pour des intérêts racistes, et c’est
épuisant, soulignait Anaïs Bourdet le soir de sa conférence au Carreau du
Temple. Mon travail est de rappeler que les hommes de tous les milieux
peuvent harceler. Le harcèlement, c’est absolument partout. L’idée de
monter le blog est venue du constat qu’on est toutes concernées. J’ai voulu
le localiser pour montrer que ce n’est pas seulement dans les quartiers à
forte population immigrée. Mais il y a du déni à chaque témoignage que je
poste. Et quand c’est un homme blanc l’agresseur, c’est sur la victime qu’on
s’acharne !
Commenter  J’apprécie          20
Quand elles marchent dans la rue, les femmes sont supposées être en
train de rentrer chez elle. C’est à la sphère privée qu’elles appartiennent,
leur présence dans la sphère publique étant envisagée comme transitoire.
Cette croyance va chercher ses racines dans l’histoire. Et n’allez pas céder à
l’idée reçue selon laquelle cela fait des millénaires que c’est ainsi, tout
imbibé·e·s que vous êtes de visions archétypales de la préhistoire, maman
Cro-Magnon touillant la soupe dans la caverne pendant que papa chasse le
mammouth – image tout droit sortie de l’imaginaire profondément
misogyne des préhistoriens qui inventèrent la discipline au XIX siècle. Non,
cela n’a pas toujours été ainsi. Non, on ne lutte pas contre un ordre naturel
de l’humanité que nous, « féminazies » aux dents acérées, serions
déterminées à inverser. La préhistorienne Marylène Patou-Mathis a
démontré, notamment en analysant l’os du bras de squelettes, qu’il était
presque certain que les femmes de Neandertal pratiquaient la chasse à l’aide
de lances (elles ont les mêmes caractéristiques physiques que certaines
lanceuses de javelot !) et se déplaçaient au moins autant que les hommes .
Au Moyen Âge encore, même si la situation des femmes n’était pas idéale,
elles pouvaient exercer le commerce, tenir des auberges, monnayer, vendre,
acheter, aller et venir entre leur foyer et la rue, être pressées, s’enrichir.
L’universitaire italienne Silvia Federici a décrit, en énervant beaucoup les
historiens qui prétendaient depuis des siècles que l’ordre patriarcal était
présent de toute éternité, la façon dont le basculement dans le capitalisme et
la concentration des moyens de production avaient fini par renvoyer les
femmes à la sphère privée. « Le corps a été pour les femmes dans la société
capitaliste ce que l’usine a été pour les travailleurs salariés : le terrain
originel de leur exploitation et de leur résistance, lorsque le corps féminin a
été exproprié par l’État et les hommes et contraint de fonctionner comme
moyen de reproduction et de l’accumulation du travail », écrit la
professeure . Elle décrit une sorte de répartition ultrarationalisée du
travail : le travail « productif », rémunéré, des hommes, dans les fabriques,
et le travail « reproductif », gratuit, des femmes, dans les maisons. Peu à
peu, les femmes se sont vu interdire le commerce, la médecine, interdire
d’étudier, de décider. On trouvait encore au XII siècle des abbesses, des
doctoresses et des mairesses ! Ces mots que d’aucuns trouvent si laids
aujourd’hui ne sont pas des fantaisies. Ils ont toujours existé, avant d’être
effacés des dictionnaires et des esprits. Et qui maintient l’ordre dans la
langue française ? L’Académie française, créée par le cardinal de Richelieu
en 1635, vers la fin de la période de la chasse aux sorcières en Europe : un
groupe de vieux messieurs siégeant couverts d’or sous une vieille coupole
couverte d’or elle aussi, boys club qui sévit encore et estimait jusqu’à il y a
peu que dire « autrice » était un sacrilège . CQFD
Commenter  J’apprécie          30
Qui connaît le nom de Jocelyn Bell Burnell, l’astrophysicienne qui
découvrit en 1967 les pulsars, des étoiles à neutrons qui émettent des
signaux périodiques, et vit son directeur de thèse rafler le Nobel avec son
travail en 1975 ? L’erreur a été « réparée » en 2017 : Jocelyn Bell Burnell a
reçu, trente ans plus tard, le Special Breakthrough Prize en physique
fondamentale, doté de trois millions de dollars, somme qu’elle a décidé de
vouer au financement de thèses menées par des femmes et par des
chercheur·se·s réfugié·e·s. Parce que, évidemment.
Aujourd’hui encore, seuls 11 % des laboratoires de recherche en Europe
sont dirigés par des femmes, qui représentent 38 % des chercheur·se·s.
Seuls 3 % des prix Nobel scientifiques, depuis 1901, ont été attribués à des
femmes . Va-t-il falloir attendre cinquante ans pour savoir combien de
chercheuses, de nos jours, voient des collègues ou des supérieurs s’arroger
la paternité de leurs découvertes ? D’ailleurs, tiens, on dit « paternité »...
La langue française excelle, elle aussi, à effacer la présence des femmes.
Les électeurs, les décideurs, les entrepreneurs, les professeurs... Toujours
ce satané masculin neutre. Qui n’a rien d’un fâcheux incident grammatical,
mais est la marque d’un temps pas si lointain où l’on interdisait tout
simplement aux femmes d’accéder à ces fonctions. Est-il utile de rappeler
que la Révolution de 1789, dont notre drôle de nation est si fière, n’a pas
donné le suffrage au peuple français, mais aux hommes français blancs.
Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe,
rappelle dans son essai Muse de la raison que, pendant la Révolution
française, il y a parmi les révolutionnaires des débats sur la capacité des
femmes à penser. Les femmes n’ont voté pour la première fois en France
qu’en avril 1945.
Commenter  J’apprécie          40
Ne croyez pas que ça m’amuse follement de vous balancer tous ces
chiffres à la figure. Ils sont un mal nécessaire, car si on ne compte pas, on
ne prend pas conscience de cette réalité. Le sexisme induit par notre langue
y tient bien sûr un rôle clé : l’idée que le masculin est neutre a si bien
imprégné nos esprits que l’on peut traverser une vie entière en oubliant que les filtres, notamment médiatiques, par lesquels nous percevons le monde ont bel et bien un genre. Et ce n’est pas le genre féminin ! On pourrait croire que les temps changent, qu’en cette époque qui a produit Malala Yousafzai, Greta Thunberg et Assa Traoré les choses évoluent rapidement. Que ces chiffres vont, grâce à l’action régénérante de la vague féministe actuelle, augmenter d’eux-mêmes, et que d’ici peu les voix des femmes se feront plus audibles. Voire, comme le redoutent tant les masculinistes, couvrir le beau chant harmonieux des hommes. Qu’ils se rassurent. C’est désespérant. En 2018, l’année qui a suivi la vague #MeToo, la part des femmes classées parmi les 1 000 personnalités les plus médiatisées dans la presse française a baissé à 15,3 %, contre 16,9 % en 2017 . Non seulement ça n’avance pas, mais ça recule. De là à en déduire qu’on veut bâillonner les femmes, il n’y a qu’un pas, que je ne m’autoriserai pas à franchir, parce qu’on ne se connaît pas encore très bien. Laissez-moi quelques pages pour me chauffer. Ce simple constat de la sous-représentation des femmes dans les médias mérite qu’on s’y penche longuement. Mille raisons l’expliquent. Mille réponses sont à apporter. Et cela tombe bien, c’est l’objet de ce livre.
Mais j’aimerais d’abord qu’on continue de s’interroger ensemble sur
l’importance du fait de compter. Parce que compter, c’est identifier les
représentations ; or les représentations modèlent la société. Elles permettent ou empêchent de rêver. Combien de femmes en lice pour la Palme d’or au festival de Cannes ? Quatre en 2019, contre 21 réalisateurs. Combien de femmes récompensées du prix Nobel d’économie ? Deux . Mais est-ce vraiment un chiffre ? Quel pourcentage de femmes parmi les président·e·s d’université ? 17 % . Ou enfin mon préféré : combien de rues portent des noms de femmes en France ? 4 % ! Quatre . Pas un village de France où l’on n’oublie de glorifier Gambetta, le maréchal Leclerc ou Émile Zola, mais tant de femmes ayant marqué l’histoire de l’art, des sciences ou de la pensée ignorées au profit d’obscurs sous-préfets du XIX siècle !
Les femmes sont absentes des lieux qui incarnent le pouvoir, la parole, le
savoir. Où sont-elles pendant ce temps ? Eh bien, dans l’espace familial,
conjugal, privé. Dans le lieu où, par un basculement de l’histoire, elles ont
été confinées. Je n’irai pas jusqu’à dire par l’action d’un vaste complot
capitaliste qui préférait les voir faire des bébés et entretenir gratuitement les foyers plutôt que penser et écrire, mais encore une fois, on vient de se
rencontrer et je suis un peu timide. Néanmoins, à ce stade de notre
conversation, on peut se mettre d’accord sur un constat : les femmes sont
invisibilisées. Les femmes sont silenciées. Ce que les femmes disent,
pensent, savent, leur travail, leur héritage, a été méthodiquement planqué
sous le tapis. Leur trace est effacée des écrits historiques et il a fallu le
travail acharné d’historiennes féministes comme Michelle Perrot pour
prouver avec force à quel point les historiens eux-mêmes avaient œuvré à
écarter les femmes du récit national. Dans le domaine scientifique, on a
identifié un effet dit « Matilda » qui désigne l’appropriation, par leurs
collègues masculins, de découvertes réalisées par les femmes. Pour une femme scientifique, il y a de fortes probabilités de voir ses travaux repris par un chercheur homme, qui, parce qu’il est son supérieur hiérarchique par exemple, ou parce qu’il a plus de réseaux, finira par recevoir les lauriers.
Commenter  J’apprécie          10
Caroline de Haas, militante de longue date et fondatrice du
mouvement Nous Toutes, avait soumis l’idée, à l’occasion d’une
interview , que pour rendre la ville plus accueillante aux femmes il fallait,
parmi d’autres propositions, élargir les trottoirs. C’était une suggestion très
judicieuse. Beaucoup d’études en géographie du genre le démontrent : les
femmes sont plus chargées que les hommes. Elles assurent plus souvent le
transport des enfants, des courses, elles poussent des poussettes, tirent des
chariots à provision. La ville n’a pas été pensée pour elles. Elle a été conçue
pour les voitures et pour les hommes pressés qui marchent seuls, leur petite
sacoche à la main. La ville leur est hostile et elles le constatent dès
l’enfance. Les femmes ne sont pas les bienvenues dans les rues, à tel point
qu’il ne leur viendrait pas à l’idée de s’y asseoir, de s’y reposer. Elles sont
en perpétuelle fuite. Dans la lignée de la pionnière en géographie du genre
Jacqueline Coutras , qui, dans les années 1980, a pointé du doigt pour la
première fois la ségrégation sexuelle de l’espace urbain, le géographe Guy
Di Méo a nommé, en 2011, « murs invisibles » ces barrières mentales qui
maintiennent certains lieux de la ville hors de l’imaginaire des femmes. La
géographie du genre a démontré que, si les hommes ont tendance à
envisager la ville comme un territoire, les femmes, elles, pensent la rue
comme un lieu de transit, un espace où l’on se déplace d’un point A à un
point B, souvent proches de leur lieu de résidence. Cette observation peut
d’ailleurs se faire de manière totalement empirique. Il suffit de se promener
dans n’importe quelle ville de France pour constater que ceux qui sont
postés à un coin de rue, assis en groupes sur un banc, sont les hommes,
tandis que les femmes sont en déplacement. Il est aussi amusant de
constater que, dans les espaces sportifs publics (skateparks, terrains de
basket), ce rapport s’inverse : tandis que les hommes occupent le centre et
« utilisent » l’installation, les femmes restent assises autour, en spectatrices,
reproduisant une division sexuée de l’espace bien connue des cours de
récré. Ces lieux de loisirs non plus ne sont pas conçus pour elles.
Commenter  J’apprécie          20

Videos de Lauren Bastide (15) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Lauren Bastide
Payot - Marque Page - Lauren Bastide - Courir l'escargot
autres livres classés : féminismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus



Lecteurs (770) Voir plus



Quiz Voir plus

Les emmerdeuses de la littérature

Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

Houellebecq
Flaubert
Edmond de Goncourt
Maupassant
Eric Zemmour

10 questions
562 lecteurs ont répondu
Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..