La leçon de l'holocauste, c'est la facilité avec laquelle la plupart des gens, placés dans une situation qui n'offre aucun bon choix ou qui fait payer très cher le bon choix, arrivent à se convaincre d'esquiver le problème du devoir moral (ou n'arrivent pas à se convaincre de l'affronter), adoptant à la place les préceptes de l'intérêt rationnel et de l'instinct de conservation. Dans un système où la rationalité et l'éthique indiquent des directions opposées, l'humanité est la grande perdante. Le mal peut faire son sale boulot en escomptant que la majorité des gens, dans la majorité des cas, éviterons de commettre des actes téméraires et risqués - or, la résistance au mal est téméraire et risqué, Le mal n'a pas besoin de partisans enthousiastes ni d'un public qui l'acclame - l'instinct de conservation suffit, encouragé par la pensée réconfortante : ce n'est pas encore mon tour, Dieu merci, et en ne me faisant pas remarquer, je vais peut-être pouvoir échapper à mon sort.
Le plus important est la faculté du pouvoir moderne, rationnel, organisé sur le modèle bureaucratique, à déclencher des actions fonctionnellement indispensables à ses objectifs et en même temps notoirement contraires aux intérêts vitaux de ceux qui les effectuent.
Dans l'ensemble, le caractère général non-violent de la civilisation moderne est une illusion. Plus exactement, il fait partie intégrante de son auto-justification et de son apothéose auto-proclamée ; bref, du mythe de sa légitimité.
La modernité liquide, la vie en miettes, la vie dans le déplacement.