N'ayant pas été tendre avec le 1er tome des Détectives du Yorkshire, je pense que certains d'entre vous s'attendaient à ce que je ne le sois pas davantage, voire moins, avec le 1er tome d'une autre série policière anglaise très en vogue ces temps-ci : j'ai nommé Agatha Raisin de
M.C. Beaton. Moi-même, j'étais persuadée que la série de romans Agatha Raisin ne valait pas que je m'y penche, sans doute parce qu'un court extrait de la série télévisée m'avait fait le plus mauvais effet. Et puis le titre sonnait un peu nunuche à mes yeux, alors que la seule mention du Yorkshire me semblait terriblement attirante dans la série de
Julia Chapman (placer dans son Panthéon littéraire Les Hauts de Hurlevent peut mener à de fantasques élucubrations).
Néanmoins, j'ai tenté La Quiche fatale juste après le terne Rendez-vous avec le crime. Qu'avais-je à perdre, je vous le demande ? (Je rappelle à ce propos que je me suis vautrée dans des tas de romans policier et de polars pas forcément bien intéressants pendant des années). Et j'ai été heureusement surprise. Ce n'est pas un roman très ambitieux, et c'est assumé, mais sans donner dans la médiocrité. En revanche, la touche d'humour qui m'a franchement manquée dans Rendez-vous avec le crime de Chapman est là, et bien là.
Intrigue policière classique qui ne nous retiendra pas, car là n'est pas l'intérêt du roman, reposant sur le personnage fantasque d'Agatha Raisin. Ancienne directrice d'une agence de communication londonienne, elle vient de prendre sa retraite. Dans les Costwolds, lieu enchanteur d'après le seul souvenir d'enfance et de vacances auquel elle se raccroche, mais où elle n'a jamais remis les pieds depuis des dizaines d'années. Et non contente d'avoir choisi comme lieu de retraite une région qu'elle ne connaît que par le biais de vagues souvenirs et de fantasmes savamment entretenus, elle a décidé d'élire domicile dans un village qu'elle n'a même jamais visité. Pas plus que sa nouvelle maison, meublée par un décorateur chèrement rémunéré (certes, elle peut se le permettre)... qui a rendu la maison en question complètement impersonnelle. Dire qu'Agatha est déçue est en-dessous de la réalité, et ça, c'est encore avant qu'elle ne se rende compte qu'elle ne va pas être accueillie à bras ouverts au village, tel un merveilleux cadeau que Londres ferait à la campagne anglaise. Résultat : le patelin est nul, la baraque est nulle, la région est nulle et elle aurait mieux fait de continuer à travailler dans sa merveilleuse agence de comm. Là, j'avoue : j'ai eu quelques doutes, car les allusions aux bienfaits du travail me paraissaient ambigus (voire tout droit sortis d'un discours de
Valérie Pécresse, d'
Emmanuel Macron, ou de Marine le Pen, et qui me font constamment bondir. Comme si les gens n'avaient rien d'autre qui fasse sens dans leur vie que d'aller bosser...) Mais non, on n'est pas ici dans ce registre.
Agatha est dans le déni : elle ne comprend pas que tout ne soit pas exactement comme elle se l'imaginait et plutôt que d'essayer de s'adapter à son environnement, elle le rejette immédiatement d'un bloc. On lui fait alors comprendre qu'elle doit participer à des activités du village pour commencer à s'intégrer dans cette petite communauté. Seulement, les relations humaines, c'est pas son fort, et c'est rien de le dire. On lui parle de participer à des activités, elle pense aussitôt "gagner le concours de quiches local pour devenir la vedette du village" (je précise qu'elle ne sait pas cuisiner). Et là, c'est le drame.
C'est drôle et léger, un peu farfelu à l'image de l'héroïne, et on ne s'ennuie pas (du moins si on sait à quoi s'attendre). Il est pour le moins étonnant que ce roman de 1992 n'ait été publié qu'en 2016 en France, vu la mode des policiers à l'anglaise qui pullulent depuis des générations dans notre pays. de plus, j'ai pensé à Exbrayat et notamment à Ne vous fâchez pas Imogène ! (car comme héroïne farfelue, Imogène est un modèle du genre), même si Agatha se révèle nettement moins bête qu'Imogène - ce qui n'est pas bien compliqué.
Pour une ou deux soirées très tranquillou, c'est très bien. Je conseille en revanche d'espacer la lecture de deux tomes de la série, la lassitude pouvant facilement gagner un lecteur trop pressé. Et bon, je me suis lancée depuis dans deux autres romans sur les conseils respectifs de Meps et de Bobby_The_Rasta_Lama : question personnages et situations farfelus, Agatha Raisin ne vaut pas Les annales du disque-monde, je le reconnais. Et pour le côté addictif, ça ne vaut pas La Maison des voix. L'essentiel, c'est de choisir le bon livre au bon moment. La Quiche fatale est arrivée pour moi juste à temps. Quiche qui ne rentrera pas dans mon panthéon littéraire avec Les Hauts de Hurlevent, certes. Mais je n'ai pas boudé mon plaisir, et je serais bien hypocrite de prétendre le contraire.