Considérées sous l'angle de la razzia, les croisades ont rapporté à l'Occident non seulement l'indéniable « butin » , mais des idées et une autre vision du monde. Elles ont mis un terme à une époque et à un mode d'organisation sociale incompatibles avec les structures d'une économie nouvelle. La féodalité avait brillé là-bas de ses derniers feux, son temps était passé. Les richesses acquises et, avec elles, les nouveaux marchés, devaient servir à mettre en place et consolider un monde régi par l'argent et le pouvoir qu'il confère. La lutte s'engagera désormais entre ceux qui y prétendent.
De cette épopée, les exclus avaient, eux aussi, tiré quelque enseignement. La dernière vérité cachée - que l'on pourrait exprimer par « le peigne est dans le beurre » - leur était connue, fût-elle masquée par les trois couleurs du nouveau « blason » et de sa fière devise LIBERTÉ-ÉGALITÉ-FRATERNITÉ : devise des affranchis. Il leur faudra donc s'affranchir de cela comme du reste et conserver, pour eux, les mots et les idées qui n'ont plus cours : concepts à l'abri de toute profanation qui ne se défendent que les armes à la main.
« Si dur aux petits qu'ait été ce régime, il a véritablement légué à nos civilisations quelque chose dont nous souhaitons vivre encore », écrit Marc Bloch en conclusion de La Société féodale.
Qui a vécu vivra.
L'histoire de la féodalité ne va pas sans cette soif désordonnée de savoir et de vivre - allant parfois même jusqu'à la négation passionnée de la vie - qu'elle a exprimée sous la forme d'une profonde et violente quête de l'impossible. Propre à la féodalité, ce sera la marque la plus originale de cette époque et, peut-être aussi, la raison inavouée de toutes les nostalgies futures.