Ne te retourne plus

Encore une belle découverte aux éditions Bruno Doucey. C'est le dernier recueil de ce poète, mort cet été dans un accident de voiture, à 77 ans.

Il a été professeur de français dans de nombreux pays du monde et s'était retiré depuis quelques années dans les Alpes.

Après avoir feuilleté quelques pages en librairie, j'ai tout de suite senti que ses mots allaient vibrer en moi.

" Si peu de temps
pour signer de sa main
le grand livre du temps"...

Il se voyait en effet vieillissant, fragile, mais toujours à l'écoute du monde et de l'humain. Son magnifique poème " Les oiseaux migrateurs" crie le désarroi des déracinés.

La tendresse à ses petits-enfants, à qui il dédie ce recueil, à sa fille Anouk, et les adresses de certains poèmes à François Cheng et d'autres amis, montrent bien sa générosité d'homme, son sens du partage.

" Je te salue ma descendance
bien-aimée
qui fait du soir de ma vie
un matin merveilleux"

J'ai aimé ses vers souvent courts, d'une fulgurante beauté, entre mélancolie et intensité de vie, la vision magnifiée et colorée qu'il nous donne de la nature, la révolte aussi qui perce à certains moments, contre la guerre, les injustices.

Les quelques poèmes en prose présents m'ont plu également, les anaphores les rythmant comme des mantras inspirés.

" Entrer dans le silence de la vie
afin d'entendre le mot de passe

enfoui sous la pierre du temps
sur l'éphémère frisson de la terre"...

Grâce aux vers qu'il nous lègue, Jean-Marie Berthier restera dans le coeur des hommes, dans le mien , c'est sûr.
Le mot de passe de la poésie, il nous l'a transmis...

Ce recueil est peu comme le testament de Jean-Marie Berthier. En effet, il est mort accidentellement en août dernier alors que le livre venait d'être imprimé. Cela donne encore plus de vigueur et d'acuité à son regard poétique.
Une alternance de textes très courts - il y en a même un de sept lignes ! - ou plus longs, en vers ou en prose, inspirés par la nature, l'actualité, un monument ou ses petits-enfants : Jean-Marie Berthier saisit dans chaque instant, dans chaque objet, dans chaque personne l'élément marquant pour le transcender et lui donner une valeur poétique. Sa poésie est celle du partage avec les membres de sa famille, avec ses amis, avec des poètes et en somme avec chacun de nous.
Masse Critique m'a permis de découvrir un poète, mais encore plus un passeur de vie. Avec lui, j'ai envie de dire à tous ceux qui me sont chers ou proches :
Que la beauté vous habite
et vous soit lieu de vie
et de grand partage
que vos yeux jamais ne se lassent
d'une fleur des champs
d'une brume sur la montagne
du vaste silence de la mer.

Exercice difficile que de devoir donner son avis sur ce recueil car il s'agit bien d'un recueil de poésies. Ce que j'aime tout d'abord avec les poèmes (il en est de même avec les nouvelles), c'est qu'on peut en prendre un au hasard, le lire et le relire à l'envie.

J'ai découvert cet auteur Jean-Marie Berthier que je ne connaissais pas.
Le titre et le poème qui y correspond est sans doute le meilleur du lot :
"Ne te retourne plus le soleil est désormais l'ombre de ta vie. Ne t'arrête pas ce feu tranquille brûlerait tes dernières forces. Ne dors que debout pour entendre encore l'histoire qui tremble".
Une fin de vie annoncée ? Une vie bien remplie. Un parcours de vie parmi les plus riches.

Chaque poème est un témoignage de vie, d'amour. L'amour de la famille, de la nature, de l'art.
Certains poèmes sont identifiés, dédicacés. Et c'est une découverte de tenter de comprendre la démarche de l'auteur. Pourquoi ce poème pour cette personne ?

Mes préférés : page 84 "J'écris pour eux" : c'est une prière, un cantique, c'est un poème à scander à plusieurs voix ou en mode gospel.

p86 : "Météo de novembre" : un poème de saison à lire et relire jusqu'à l'arrivée de l'hiver.

Ces poèmes sont à la fois doux, rythmés, attachants. Ils sont murmurés à nos oreilles. On les entend.
Et ils ont cette particularité, on les lit, on les relit et on les redécouvre à chaque fois. Il y a un rythme particulier qui selon notre humeur ou le moment, n'est pas le même.
Il arrive aussi qu'on ne comprenne pas le poème à la première lecture ni même à la deuxième d'ailleurs. Et tout à coup, à la troisième lecture, il va nous accrocher et ne plus nous lâcher.
Que s'est-il passé entre temps ? Et bien. on a vécu, on s'est posé peut-être, on a compris.

Aujourd'hui, j'ai rencontré un auteur, et j'ai pris le temps de faire sa connaissance et je l'ai apprécié. Ce recueil m'a donné envie de lire ses oeuvres précédentes.
Merci Babelio.

Un grand merci à masse critique pour cette belle découverte. Une drôle de rencontre à vrai dire car je n'ai pas du tout l'habitude de lire de la poésie. J'avais fait ce choix pour participer à un voyage et un cheminement comme l'annonçait l'éditeur et je n'ai pas été déçue. Mais il faut du temps pour entrer dans le texte , le comprendre et l'imaginer , c'est un moment d'évasion que je me réserve. Un poème à la fois , une traversée à la fois ... Sinon , je me perds dans les mots et je passe à côté de l'essentiel. Un point fort pour ce livre , on le dépose et on y retourne pour le savourer , on le grignote. Il m'aura aussi permis de faire une place dans mes lectures à la poésie , style que je délaisse habituellement faute d'ignorance et d'audace.