Les culs-terreux sortirent de leur jungle avant que le ragoût de coq soit cuit ; les policiers mirent aux fers le vieillard perclus de rhumatismes, et voulurent le contraindre à se tenir debout près de son fils.
Cette exorbitante prétention manqua de provoquer une rixe entre les policiers et les habitants de la cité, nombreux tout à coup, autant à l'entrée qu'à l'intérieur de la maison de de Ndzoman.
Voilà pourquoi le petit peuple de la capitale, contre toute expérience, s’obstinait à prêter à chaque diplômé revenant au pays l’intuition miraculeuse de son élection, voulait à tout prix lire dans le regard le plus fuyant la foi qui soulève les montagnes et défie les monstres, auréolait la première veulerie venue d’une abnégation de légende totalement infondée. Une période faste, sorte de lune de miel insoupçonnée, était d’abord consentie au nouveau venu: le moindre de ses gestes était glorifié, agrandi, colporté de bouche à oreille. Sans le savoir, il faisait son entrée dans Jérusalem, au milieu des rameaux et des foules en liesse.
Peu à peu cependant le présumé messie trahissait sa vraie nature d’enfant gâté affamé de fêtes et de sucreries, assoiffé d’indolence, goulu de caresses et d’encens. Il tournait le dos au désert, déambulait dans les jardins du tyran, pénétrait enfin dans la féerie de ses palais et se roulait dans les délices de ses harems.
Il faudra bien qu’un jour les français comprennent enfin que posséder Senghor, la plus noble conquête de l’homme blanc, ce n’est pas posséder l’Afrique toute nue, pas plus qu’une hirondelle ne fait le printemps. Quand les peuples noirs se seront enfin émancipés, la culture française sera ruinée comme une douairière frappée de sénilité, si culture française il y’a encore.
Mongo Beti, Une vie, une oeuvre partie 1
Le portrait radiophonique d’un homme d’exception.
Émission réalisée par Catherine Pont-Humbert et diffusée sur France culture le 26/12/2004.