Lorsque je passais mes vacances à Dieppe, chez petite tante, comme l'appelait mon fils âgé de 7 ans, je découvris
Gisèle Bienne, une de ses amies d'enfance, avec son livre dans la collection jeunesse Les Champions, parlant de football, petit écho à son petit frère, puis son premier roman
Marie-salope. Quelques années plus tard j'ai acheté La brulure suivi de
Marie-Salope, une édition double, une suite 40 ans plus tard sur les conséquences de son premier roman et son parcours puis son dernier
La malchimie sorti en 2019. Notre auteur, aime faire découvrir la lecture, s'aventurant à des ateliers d'écriture en milieu scolaire, à des rencontres et lectures publiques et aussi des rencontres en milieu scolaire, pour écrire des romans de jeunesse destiné à des adolescents comme
La chasse à l'enfant, oscillant cette frontière fragile entre écrit de jeunesse et adulte, ce roman peut être considéré comme un livre atypique, cette friabilité des genres, laissant certain lecteur circonspect de cette lecture de jeunesse comme une aventure de lecture d'adulte.
La chasse à l'enfant est le titre d'un poème de
Jacques Prévert, du recueil
Paroles, sur la maltraitance des enfants, même si le titre choisit par
Gisèle Bienne ne fait pas référence à cette prose, cette similitude pourrait être judicieuse pour une lecture différente.
Le roman est écrit à la première personne, le journal intime d'un berger prénommé Jack, qu'il nomme « mon carnet de vie personnelle » devenant même « un ami ». C'est l'arrivé d'un détective, suite à la mort de son père qui le retrouvant dans sa maison de bois, isolé de sa famille, lui fait se souvenir de cette ancienne vie, pour naviguer sous sa plume des réminiscences anciennes, des lieux, des personnes qu'il fait revivre dans ce carnet et surtout de cette vie qu'il a fui pour retrouver cette liberté qu'il a choisi par instinct.
C'est comme un petit jeu de piste,
Gisèle Bienne trace un portrait simple d'un homme épris de liberté, de vie, toujours prisonnier d'une famille castratrice d'un passé malsain, une bourgeoisie sombre d'une fortune de guerre grâce à des canons vendus à des allemands, tuant nos alliés et plus encore. Mais ce père militaire, toujours aussi autoritaire, dont les derniers mots sur le quai de la gare de l'est avant de partir à l'armée tintent encore l'esprit de Jack « Une deux, une deux et plus que ça … ». Ce père qu'il devait suivre et même faire mieux, ce père militaire, qui pensait « L'État c'était l'armée, et l'armée l'État. ». Sa mère n'était pas une maman, subissant ce rôle, juste une épouse docile à son mari, cette faiblesse pour Jack, ce garçon sensible, ce petite gamin perdu dans une famille qu'il n'a pas choisi, une servitude involontaire, un dogme de sang, une ligné immuable de convention et de pression, l'amour n'existe pas, c'est comme un élevage.
Le lieu-dit le petit Miroir, cet Éden de cinq chalets, ce paysage abritant Jack, c'est une mélopée « de l'eau vive » de la cascade et du torrent qui caresse les nuits de Jack et de sa belle amoureuse Natacha, de ces rêves qui bercent leurs nuits. La bois est source de chaleur, rassure notre berger, qu'il travaille de ses doigts pour en faire des meubles, cette vie est douce, comme le fait
Gisèle Bienne avec ce roman, une poésie de la nature, une tendresse de ce garçon décidant de fuir sa destinée pour vivre sa vie, des souvenirs parsèment la poésie de cet homme, des brides de chansons constellent le roman, une tendresse douce frisonne cette lecture.
Natacha embrase les pensées de Jack, « je lui construirai un château », il y a de la douceur lorsqu'il parle de sa « Natoue », cette douceur de vivre dans ce cadre, la montagne, ils sont « deux enfants » s'étonnant de ce qui les entoure, partageant ce qu'ils ont, ils se bercent du paysage, de la première neige, du chant des ruisseaux et torrents qui dégèlent, les hirondelles dans leur farandoles printanières, les brebis mettant bas, les abeilles et leur concert, et cette beauté « cristalline » de la montagne couverte de givre.
Jack se souvient de sa cousine, de sa grande soeur, des vacances à l'île de Ré, de ses tantes autoritaires, de son ami Gabriel qu'il ose prendre des nouvelles pour replonger dans ce passé qui ferme ses portes, avec ce carnet, ces mots qui figent ce temps, de ces maisons de corrections, avec cette métaphore « mes parents mettaient leurs filles chez les soeurs et leurs fils chez les frères. », des interdits comme ne pas avoir le droit de penser foot mais escrime avec cette adage bourgeois « Versailles, ce n'est pas Pantin ou Sarcelles. », ces mots silencieux proscrit, et cette fuite…
Cette fuite familiale, de ne pas descendre du train pour faire cette armée de papa, refuser son destin et pouvoir construire sa propre existence,
Gisèle Bienne souffle dans ce récit une liberté d'âme, une porte vers une simplicité de vie, de vouloir être celui qu'on désire être, une philosophie de vie.
Ce petit roman dit de jeunesse est une source de plaisir, une petite fraicheur où la nature en symbiose avec la vie nouvelle de Jack, épris de liberté, pris dans le tumulte de l'amour, du coup foudre pour sa douce Natacha enchante cette lecture où le temps s'étire lentement de cette vie simple.