Que savais-je d'
Anaïs Nin? Pas grand chose...
J'avais entendu parler de "
Vénus érotica" et de son journal sans jamais n'en avoir rien lu. Peut-être aussi ai-je lu quelque part qu'elle était une des premières femmes auteures à avoir osé parlé clairement du désir féminin (scandale en la demeure!) et de psychanalyse... A vrai dire, elle avait pour moi cette aura un peu désuète des scandaleuses de la première moitié du XX°siècle, encensées par
les années soixante-dix.
Autant dire que je ne savais rien.
Si je me suis un peu intéressée à elle, c'est par le biais d'une autre écrivain dont j'admire le travail: il s'agit de
Diglee dont je suis le blog (je me sens si vieille soudain!) et les publications parmi lesqu
elles sa merveilleuse anthologie de poésie féminine "
Je serai le feu", dans laquelle elle consacre un chapitre à celle qu'elle appelle "sa Neptunienne", présentant quelques uns de ses poèmes. Car oui,
Anaïs Nin n'était pas qu'une auteure de nouv
elles érotiques (commandées au passage par un collectionneur riche et anonyme qui avait exigé de Nin "moins de poésie et plus de cul"), une diariste sulfureuse, une extravagante mondaine. Non! C'était une auteure à part entière que son époque (comme souvent) ne reconnut pas à sa juste mesure: une diariste, une romancière énigmatique, presque symboliste, et une poétesse de talent. Il en faut de la magie, des images et de l'intensité pour écrire des vers si mystérieux mais si pleins de lumière: "Je perçois les déplacements des étoiles et des planètes, leur grincement léger, rouillé lorsqu'
elles changent de position. Et la traînée soyeuse des radiations et la respiration des sphères". Ou encore: " Je marchais à l'intérieur de mon propre livre, en quête de la paix. Il faisait nuit et je fis un faux mouvement au-dedans du rêve; je tournai trop brusquement à un carrefour et vins me heurter à ma folie".
Quelques vers et la bête était ferrée: j'ai cherché à faire connaissance avec
Anaïs Nin et comme bien souvent la vraie Anaïs est à chercher loin de l'image que lui a sculpté la postérité. C'était une femme complexe, libre, artiste. C'est aussi une femme qui s'est construite avec de lourds bagages, des blessures, des manques et à la lumière de son vécu si particulier, on ne peut s'empêcher de réfléchir -une fois encore- à la place des femmes dans la société...
Un roman et les poèmes plus tard, je n'ai pas encore eu le courage de me lancer dans le "Journal" de Nin mais je me suis plongée dans le très beau roman graphique que lui a consacré
Léonie Bischoff: "
Anaïs Nin, sur la Mer des mensonges".
On découvre dans ce livre récompensé en 2021 à Angoulême le portrait d'
Anaïs Nin et la vie de son installation en région parisienne avec son époux, Hugo, au début des années trente à sa rencontre avec
Lawrence Durrell en 1937.
L'oeuvre adopte le point de vue de son sujet et le lecteur est invité à suivre le flux de pensées d'
Anaïs Nin à travers certaines scènes de sa vie mais aussi par le biais de son journal rédigé quotidiennement, écriture nécessaire, drogue et oxygène à la fois, pour la jeune femme qui tente de lutter contre d'indicibles angoisses et un ennui oppressant. Peu à peu, on découvre un personnage en quête de lui-même et de sa sensualité, assoiffée d'art et d'écriture, complexe, ambiguë. D'une sensibilité déconcertante d'intensité. C'est une narration à la
Virginia Woolf... le flux et le reflux des vagues, et l'immensité de la jetée. Et d'ailleurs, Nin, tout comme Woolf, avait bien compris l'importance d'avoir "une chambre à soi'...
A travers sa quête d'elle-même et ses rencontres (son mari,
Henry Miller, June, Otto...), Anaïs opère sa mue dans cette période charnière qui la voit assumer ses désirs, tant du point de vue de l'écriture que de celui des sens et de la sexualité. Pour autant, rien de voyeur ni de racoleur dans l'oeuvre de Bischoff qui a le bon sens de remettre à sa juste place les retrouvailles de l'auteure avec son père -ce père abusif que l'opinion ne condamnait pas, contrairement à sa fille, victime condamnée et c'est à vomir- avec beaucoup de pudeur et d'intelligence.
Outre l'intelligence du propos, les graphismes et les couleurs de
Léonie Bischoff sont d'une sensibilité et d'un onirisme rare. Ils ne sont pas sans élégance non plus, bien au contraire et semblent épouser à merveille la vision, l'âme peut-être bien, de leur sujet. L'aspect crayonné, la douceur des couleurs de la palette dans laquelle dominent tantôt l'ocre, tantôt le bleu; l'éclat et la beauté des pleines pages... Tout cela concourent à faire de "
Anaïs Nin, sur la mer des mensonges" un portrait magnifique autant qu'un récit initiatique troublant et magnifique, mêlant intelligence et sensibilité comme rarement.