On est au bord d'un fjord, dans un village du genre des villages que l'on retrouve aussi chez
Ibsen. Nous partageons la vie de la famille du pasteur, Adolf Sang, un saint homme au dire de tous, il guérit tous ceux qu'il touche...
Merveilleux homme! Hélas, sa femme, Klara, est clouée au lit, mais elle est sans rancune envers son mari qui ne peut rien pour elle:
« Il lui manque un sens, le sens de la réalité ; il ne voit que ce qu'il veut voir ! Ainsi il ne voit jamais de mal à rien, c'est-à-dire il le voit, mais il ne veut pas y faire attention. »
Ses enfants, sans animosité, ont néanmoins pris une toute autre voie:
« Je veux dire que leur religion n'est que pure convention et rien d'autre, et en dépit de tous leurs principes, ils subordonnent leur foi aux lois du pays où ils vivent. Institutions, coutumes, rapports économiques ou autres, ils ont trouvé moyen de se plier à tout, de supporter tout, et d'accommoder leur religion à toutes ces règles... »
Une seconde note, autour de la 2° partie de cette pièce.
Voici un autre très grand dramaturge norvégien, Bjørnstjerne Martinus Bjørnson (1832-1910). Il suit
Ibsen de quatre ans à la naissance comme à la mort (1828-1906).
Au-dessus des forces humaines 2, est l'une de ses pièces les plus importantes, on y retrouve des thèmes très semblables à ceux que l'on trouve dans ses autres pièces et dans le
théâtre d'
Ibsen: l'omniprésence de l'institution écclésiastique, le mysticisme de certains pasteurs, les différentes classes sociales et leurs rapports difficiles – mais les deux auteurs se rangent clairement du côté des défavorisés.
Je ne vais pas raconter la pièce, mais tenter d'en retransmettre le ton – très éloigné d'un optimisme béat...
Ainsi l'un des personnages, Otto Herre:
“Les fenêtres font très bien !... Quant à l'enseigne, on dirait un verre fêlé se vidant goutte à goutte ; l'escalier enlevé par l'ouragan qui a bouleversé ta destinée, et toi-même, pauvre naufragé, te cramponnant désespérément à la dernière épave du navire de ta vie.”
Ce à quoi, le pasteur Falk répond!
“Mais, pour en revenir à ce qui nous occupe, je vous répète que le désespoir est un dangereux compagnon.”
Ainsi qu'écrit plus haut, la lutte des classes se manifeste, et la pasteur Falk tente de modérer les propos:
'Hans Braa Mais puisque ce sont tous des voleurs !
Ouvriers Oui, oui, ce sont des voleurs, pardié !... c'est sûr !
Falk Les voleurs eux-mêmes peuvent se repentir !...
Aspelund Allons donc ! Ce sont des bêtes fauves !
Falk Pourquoi avoir toujours la menace et l'injure à la bouche?... Laissez donc cela aux riches... Ils ont pour eux la force et ils sont habitués à vouloir tout trancher par la force. Mais vous avez mieux à faire que d'imiter leurs vices. La pauvreté a ses avantages, que la richesse ne connaît pas. Ne gaspillez pas ces biens-là. La pauvreté a sa bénédiction. “
Mais que faire, quand les industriels, les nantis, s'expriment par la voix d'Holger, l'un d'eux:
“Nous sommes les maîtres et nous vous le ferons voir !... “
Après la catastrophe inéluctable, seule une femme, Rachel peut dire la réalité:
“Il n'y a plus d'espoir maintenant; nous sommes rentrés dans la barbarie ! “
Je ne suis pas certain que cent-quarante ans ans plus tard, nous n'y soyons pas encore plus profondément...
Tout ce
théâtre, sans avoir l'air d'y toucher, à travers des personnages qui ne donnent aucune possiblité à des acteurs de cabotiner nous entraîne dans
« une immensité sans limites... ! Comme un au-delà inconnu!...»
qui surgit de cet environnement modeste et d'une écriture sans ostentation.
Hélas,
Bjornstjerne Bjornson (encore moins que
Henrik Ibsen) fait trop rarement l'objet de mises en scène,
alors en attendant, (re)lisons ses pièces.