William Blacker se rend en Roumanie en 1989 juste après la révolution et commence à connaître le Maramureș. Il passe par Halma un peu par hasard, y fait la connaissance des Knall qui font visiter l'église saxonne. Il croise aussi les Tziganes. En 1996, il se libère de la civilisation et part s'installer en Roumanie. Il habite à Breb, chez Mihai, un paysan roumain devenu son ami.
Je n'en dit pas plus pour ne pas dévoiler l'histoire. Dans la série des auteurs un peu barrés, on fait fort avec
William Blacker, un type civilisé, voire très. Grâce à lui, j'ai découvert Konrad
Bercovici,
Patrick Leigh Fermor ou Sacheverell Sitwell. Il cite aussi très à propos Byron, « Carmen » en français,
Gregor von Rezzori,
Sandor Marai (la plus pertinente « Then I realized that these people are still intimately familiar with the art of killing, blood is something they know well, and the flash of a knife is as natural to them as the smile of a woman » en traduction : « Je me suis alors rendu compte que l'art de tuer est toujours familier à ces gens jusqu'à l'intimité, ils connaissent bien le sang, et le reflet d'une lame de couteau leur est aussi naturel que le sourire d'une femme ») donne à un de ses personnages le nom de Goga en référence à l'auteur et politicien roumain d'extrême-droite.
Et voilà qu'il envoie tout valdinguer pour s'installer en Roumanie, et pas n'importe où, au fin fond du Maramureș, une des régions les plus traditionnelles. Au fond, cela a sa logique : il n'aurait pas pu fuir la civilisation au milieu de Bucarest ou Jassy, ou même Sibiu ou Brașov. le récit se veut autobiographique, mais pas tout à fait, puisque Blacker reconnaît volontiers avoir changé des noms et des événements. La tableau dressé de la situation des Tziganes est plus complexe qu'à première vue avec les habituels constats de misère et d'exclusion, et c'est potentiellement le plus intéressant. On découvre la diversité de leur situation : beaucoup depuis le communisme se sont sédentarisés, Blacker évoque brièvement leur riche roi, la misère devient relative après l'évocation des fêtes et des danses tous les soirs. Pour beaucoup, être tzigane, c'est vivre de rien. Nous croisons aussi des Tziganes laborieux, surtout les travailleurs du métal, les Căldărari. Avec les Roumains et les Saxons, voire les Sicules, se dessinent également des synergies, les uns sous-traitant pour ainsi dire aux autres.
Quant au village, qui est un des fondements, mythiques, de la littérature roumaine, il est en voie de disparition : les jeunes veulent gagner leur vie en ville et porter la même chose que ceux qui passent à la télévision. En plus de tout cela, Blacker s'est coltiné, avec humour, les tribunaux, la police, les scènes de ménage, l'aiguisage de la faux, sur lequel les considérations sont passionnantes, et, sans trop en dire, un gamin se mêle même à l'affaire. Un des exploits du narrateur, c'est de garder le suspense jusqu'à la fin et on se demande vraiment ce qui va se passer jusqu'à la page 300, mais aussi de démocratiser le village, avec du concret : les histoires de cerisiers, de mariage avec des morts, c'est un peu plus abordable que les essais mystiques de
Lucian Blaga ! En même temps, très anglais et justement, Blacker était aussi correspondant au Telegraph. Malheureusement, ce n'est pas traduit en français, où l'on a sans doute jugé le livre trop « légèrement idiosyncratique », ou peut-être que ça parlait trop de roms à l'époque de
Sarkozy et de « crise des migrants »…