Un système traditionnel définit toujours aujourd’hui les échanges de services entre les membres de différents jāti dans l’Inde rurale et, nous en sommes convaincus, il aurait des incidences dans les rapports commerciaux contemporains. Nous faisons ici référence au système jajmānī. L’origine du terme jajmānī remonte aux temps védiques. En sanskrit, le terme yajamāna désigne l’individu qui demande l’accomplissement d’un sacrifice à un brahmane ; il en assume les frais et en récolte les bénéfices. Cependant, et comme le spécifie Louis Dumont, le système jajmānī contemporain est beaucoup plus large : il « articule la division du travail au moyen de relations personnelles héréditaires : chaque famille dispose pour chaque tâche spéciale d’une famille de spécialistes ». Dumont ajoute que le concept de jajmānī n’est donc plus limité à la sphère rituelle, comme il l’était à l’époque ancienne, mais englobe tous les genres de services, que ce soit ceux du barbier ou du potier. Par exemple, l’arrière-grand-père d’un brahmane se faisait raser par l’arrière-grand-père du barbier actuel qui est en train de raser notre brahmane ; le pourvoyeur de services ici n’est plus le brahmane, mais plutôt le barbier. Le système jajmānī fait en sorte qu’une continuité transgénérationnelle s’installe entre des familles de castes et de classes différentes. Bien que cette constance vienne fortifier l’identité de chacun des deux groupes, le système jajmānī impose des échanges plus soutenus entre les groupes, mais également une responsabilité importante au « client ». En cas de besoin, le pourvoyeur de service (le barbier) a le devoir (dharma) de solliciter l’aide de son client (jajmāna), dans ce cas, le brahmane. La relation unissant la famille d’un barbier (par définition, intouchable) à une famille d’une autre caste est particulière. Le barbier et sa femme – qui remplit encore, dans bien des cas, la fonction de sagefemme – sont généralement invités à la cérémonie du mariage des fils de la famille qu’ils servent, et jouent un rôle rituel particulier au sein même de la cérémonie. Les contacts entre les couches sociales ne sont donc pas aussi hermétiques que l’on pourrait le penser.