Voilà un tract qui fait mouche : l'auteur fustige ces auto-colonisés ("unfrench et fiers de l'être") qui tuent la langue française en la truffant d'anglicismes et en bousculant « à l'anglaise » sa syntaxe. Selon lui la langue française va à vau-l'eau, une mentalité collabo s'est installée dans les médias et les gens de pub, elle instille ses poisons dans la population, ce qui entraîne "un infléchissement collectif des visions du monde, des relations humaines et des pratiques sociales". C'est toute une culture et un art de vivre qui s'effondre.
On ne peut qu'approuver, même si c'est dit parfois avec outrance, mais l'humour est là pour tempérer les excès.
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les linguistes sont sous le capot, donc ils ne voient rien venir. La linguistique ne pense pas, c'est le prix élevé de sa prétention scientifique. Et c'est pourquoi le linguistique "n'est pas le garant d'une culture" [Hagège] ; mais alors qu'il s'abstienne de combattre ceux qui s'en préoccupent ! Au lieu de quoi il exècre les "déclinistes", blâme les écrivains _ qui ont le panorama et les intuitions. (...) Sans doute le discours sur "la fin de la langue" qui lui échappe et l'horripile (chasse gardée !), est-il récurrent, très ancien même, sinon consubstantiel à l'amour de la langue ;
or ce n'est pas "la langue" qui est en cause, mais notre langue française (ce qui reste à préciser) ; et la"créativité" non plus ne cessera pas (du moins peut-on l'espérer !) : simplement la créativité n'irrigue plus la langue française, et il faut savoir ce que cela signifie au juste. Bref, le linguiste décrit le moteur, mais se fiche de la marque. "N'attendez donc pas de lui des discours qui bannissent les emprunts à l'anglais, ni qu'il prenne part au combat pour la promotion du français", déclare Claude Hagège. Pour ce qui est de la linguistique, j'ai mes papiers en règle ; mais ce qui me distingue de ces techniciens de surface, c'est qu'ils feront toujours de la linguistique quand la langue française aura disparu.
p.9-10
italiques sur "chasse gardée"
sur "notre" et "française " dans "ce n'est pas "la langue" qui est en cause, mais notre langue française (ce qui reste à préciser)"
Aucune langue n'est supérieure à une autre, seulement toutes diffèrent par un projet singulier (il faut dire en quoi, au juste) et, en cela, philosophiquement se complètent ; "on ne connait pas de langues pauvres [...] Elles fourmillent de subtilités qu'on n'attendait pas" (Henri Michaux, "Poteaux d'angle"). Chacune rétablit plus ou moins ce qui manque à l'autre par des artifices qui manquent à l'autre. C'est pourquoi il faudrait les étudier toutes pour philosopher, et c'est cette même raison pour laquelle il serait ridicule de traiter de la "Précellence du langage français", comme Henri Estienne en 1579 (...) il ne s'agit que de la singularité de notre langue, de sa singularité à elle qui la constitue en langue française, à l'exclusion de nulle autre, chacune ayant son "génie" et n'existant qu'à cette condition :
la langue sait sur nous des choses que nous ignorons.
p.14
Italiques sur "singularité" et "singularité à elle" dans "il ne s'agit que de la singularité de notre langue, de sa singularité à elle qui la constitue en langue française"
(…) c'est l’État français lui-même et non plus ces innombrables autocolonisés, "unfrench" et fiers de l'être, que Michel Serres appelait « les collabos de la pub et du fric », c'est l’État qui méprise sa constitution, article II, et enfreint la loi Toubon : est-il nécessaire de traduire "carte nationale d'identité" par "national identity card", trois mots français passés à l'anglais depuis Hastings ? Nos amis Anglais n'ont pas de cartes d'identité, nos amis Américains pas davantage (leur permis de conduire suffit) mais nous aurions une carte d'identité en anglaméricain dans la langue de ceux qui ont claqué la porte de l'Europe ? À une langue hégémonique substituons l'Europe de la traduction et sauvons les langues d'Europe. La carte d'identité constitue la ligne rouge du Symbolique. Le président Macron prend le pont d'Arcole à l'envers.
Or la morphologie porte des représentations collectives qui nous dépassent, nous pensent et par lesquelles nous pensons, autant que les enjeux de toutes sortes, économiques, civilisationnels, qui s'y attachent : "pas la même langue" signifie : pas le même Réel, pas le même rayonnement, pas le même avenir. La langue française part à vau-l'eau, en même temps qu'on néglige la Francophonie dans la mesure inverse où l'on se soumet à la domination américaine :
chaque jour, des milliers de voyageurs étrangers qui atterrissent à Paris s'étonnent de se voir inviter à à "bruncher on top de la tour Montparnasse pour soirées chill, DJ sets ou blindtests"... La France, c'est Disneyland à tous les étages ?
p.6
Italiques sur "représentations collectives" et les termes en anglais.
D'autres langues, l'allemand, le turc, le coréen, le népalais et les langues ouralo-altaïques mettent le charrue avant les bœufs : elles choisissent au contraire de retarder au maximum le verbe et rejettent le déterminant en fin de phrase : l'Autre est mis en attente. Elles idéalisent le locuteur dominant qui peut, avec son "Ich" écumant, assujettir ses interlocuteurs à sa guise, pendant quatre-vingt-quatre mots dans une phrase de Freud ; selon ce principe résumé dans les trois mots d'"Ich liebe Dich : Ich... liebe" (attendons de savoir qui)... "Dich" (ouf, c'est moi, jusque-là tout va bien, mais il faut attendre encore la suite)... "Nicht" !
Dans ce cas la langue française fait précéder le verbe de sa négation ("ne t'") pour prévenir, investir le verbe afin de ménager le destinataire : la double négation, cette belle particularité de la langue française, le "ne" explétif offre une "prévenance" (...)
On pense souvent, à tort, que :
Il faudrait sauver le français menacé de tous côtés par l?appauvrissement, la simplification, l?écriture électronique, la novlangue inclusive, les sigles, l?anglais, l?arabe?
L?état d?appauvrissement de la langue française ne serait qu?un symptôme parmi d?autres de la décadence de notre civilisation. Les jeunes en France connaitraient de moins en moins leur langue.
Le baccalauréat ne vaudrait plus rien.
Mais souvent, on ne sait pas que :
Geofroy Tory de Bourges au XVIe siècle ou André Moufflet dans les années 1930 avaient les mêmes constats alarmistes sur la langue que nos contemporains adeptes du registre de la déploration, comme Alain Finkielkraut ou Alain Borer?
La pratique du français n?a jamais été aussi homogène sur tout le territoire de la France.
Le niveau d?éducation de la population n?a jamais été aussi élevé.
Le français reste parmi les langues les plus parlées au monde ; il fait partie des trois langues le plus souvent apprises comme langues étrangères, en se classant après l?anglais et l?espagnol.
À force de le lire et de l?entendre, cela semble admis : la langue française serait en péril. Diverses menaces contribueraient à la dégrader : les argots, les anglicismes, les barbarismes, le langage SMS, le politiquement correct, etc. de fait, défendre la langue est devenu un prétexte facilement recevable pour tempêter contre la société contemporaine (forcément décadente).
Mais qu?est-ce donc qu?aimer la langue française ? C?est passer du temps à lire, parler, écrire et surtout s?interroger : sur la langue, mais aussi sur les discours qui la concernent et sur ceux qui sont tenus en son nom. le français n?est pas figé, il a une histoire, qui continue à s?écrire.
Pour poursuivre ces réflexion sur la langue française, lire l'ouvrage de Maria Candéa et Laélia Veron « le Français est à nous ! Petit manuel d'émancipation linguistique ». Un livre pour se forger un point de vue éclairé et critique non seulement sur la langue française, mais aussi sur les discours tenus en son nom.
En librairie le 11 avril 2019
Pour en savoir plus ? https://bit.ly/2WP5yPy
Éditions La Découverte
Réalisation vidéo © Johanna Bourgault
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