p. 181 Un portrait du libéral français :
Le libéralisme qui, dans d’autres conjonctures peut se développer largement et apparaître comme une doctrine tonique, égoïste, mais alertement expansionniste, s’allie volontiers en France, en cette fin du xixe siècle surtout, à une attitude frileuse, conservatrice et pessimiste. On peut très bien défendre – sans enthousiasme, d’ailleurs, et comme un moindre mal – le suffrage universel, les assemblées délibérantes, les jurys d’assises et, en général, la décentralisation anglo-saxonne, tout en déplorant que chez nous, hélas, peut-être par le fait d’une immaturité démocratique congénitale des peuples latins, ces institutions si légitimes et si sages soient toujours perverties par l’indiscipline, par la dangereuse surenchère des rhétoriques révolutionnaires, et par le goût dont nous avons toujours témoigné pour le patronage d’un appareil d’état omniprésent et sourcilleux. J’en ai déjà fait la remarque : de Tocqueville à Renan et à Taine, le libéralisme français, dans ses représentants les plus prestigieux, ne cesse de dériver vers une droite immobiliste, ne cesse d’évoluer dans un sens de plus en plus anti-populaire et élitiste, au point qu’on ne sait plus, en fin de compte, si l’on doit faire reproche au peuple français d’avoir, par son irréductible et latine anarchie, acculé ainsi ses libéraux à la déception et au désespoir – ou au contraire avertir ces derniers qu’ils se font illusion sur eux-mêmes, qu’ils se trompent d’étiquette, et leur conseiller de laisser là le libéralisme pour se tourner sans plus de simagrées vers la dictature selon leur cœur. Pour un libéral de cette espèce, étudier la psychologie des foules [Cf. Gustave le Bon], c’est rationaliser les descriptions de Taine, c’est faire la théorie psychologique de l’hystérie révolutionnaire.