Le cinquième anniversaire de l'immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 et de l'exil forcé de Ben Ali le 14 janvier 2011 est passé inaperçu. Comme si l'espoir qui s'était levé en Tunisie était aujourd'hui retombé, la révolution dégénérant en un état de violence généralisé.
C'est le constat pessimiste que dresse
Hamit Bozarslan dans la continuité de ses précédents travaux sur le Moyen Orient. Revenant sur le Printemps arabe, il souligne sa soudaineté. A l'instar de la chute du Mur en 1989, il était prévisible mais imprédictible : le pouvoir était en crise (leaders vieillissants et impopulaires, « capitalisme des copains », revendications sociales de plus en plus virulentes ...) mais semblait solidement arrimé (la croissance économique était satisfaisante, des élections venaient d'avoir lieu, la question sociale était sous traitée aux organisations islamistes).
Pourquoi le Printemps arabe a-t-il éclaté en Tunisie et en Égypte ? Pourquoi entraîna-t-il la chute du régime dans ces deux pays ? Pourquoi ne s'étendit-il pas au reste de la région ?
Hamit Bozarslan consacre le plus long chapitre de son livre aux "effets de domino de 2011". L'expression doit être maniée avec prudence. Certes, en écho au renversement de Ben Ali et de Moubarak, la "rue arabe" s'est embrasée, du Maroc au Bahreïn en passant par Benghazi et Alep. Mais l'histoire des années 2011-2015 est celle d'une renationalisation du Printemps arabe, chaque Etat gérant à sa façon la contestation : le Maroc de Mohamed VI en donnant l'impression de lâcher du lest sans rien lâcher en réalité, la Libye de Kadhafi et la Syrie d'Assad en ouvrant le feu contre la rébellion au risque d'internationaliser le conflit et d'y perdre le pouvoir, l'Arabie saoudite et l'Algérie en utilisant la rente pétrolière pour faire taire les revendications, etc.
Pour décrire la situation post-révolutionnaire
Hamit Bozarslan emprunte au philosophe
Frédéric Gros la notion d'état de violence caractérisé par le brouillage des catégories : guerre/paix, acteurs armés étatiques, non étatiques. de Libye en Irak, de Syrie au Yémen, tous les pays connaissent les mêmes phénomènes : la disparition des appareils d'Etat, la milicianisation du pouvoir, la fragmentation territoriale, l'effondrement des sociétés, leur précaire recomposition autour de la confession et de la tribu ... Même la Tunisie et l'Egypte, passées l'ivresse du moment révolutionnaire et la mise en place d'un processus démocratique qui conduit à la victoire électorale des partis islamistes, connaissent une réaction thermidorienne et le retour au pouvoir d'élites associées à l'ancien régime.
Au terme de ce tour d'horizon, une conclusion paradoxale s'impose. D'un côté, le Moyen Orient par les problématiques qu'il génère continue son expansion entamée dans les années 80 vers l'est (Iran, Afghanistan) puis dans les années 90 vers l'ouest (Algérie). L'élargissement post-2011 ne s'est pas réalisé en Asie mais au sud vers l'Afrique. C'est en Somalie, au Nigeria, au Mali autant qu'en Syrie-Irak que le jihad enregistre ses premières tentatives encore imparfaites de territorialisation. de l'autre, l'éclatement des cadres étatiques et la recomposition des sociétés ont conduit au recroquevillement des identités au point de faire perdre à la notion de Moyen Orient sa pertinence.