Bertolt Brecht nous propose, avec sa Vie de
Galilée, à la fois une espèce de portrait, une volonté partielle de biographie du savant pisan, et une interprétation personnelle, une valeur symbolique, un genre de parabole à visée édificatrice — autant que mise en garde — de ce qu'est et de ce que devrait toujours être la science, selon l'auteur.
On voit, dès la présentation du projet littéraire et/ou dramatique, que c'est une chimère, que c'est un brin bâtard tout ça, qu'on navigue entre deux eaux, qu'on est un peu dans plusieurs choses sans être vraiment dans aucune et c'est un peu dommage d'après moi.
Pour que la pièce se maintienne dans des dimensions acceptables,
Bertolt Brecht fait le choix d'un nombre limité de tableaux. Bon, certes, c'est réducteur, mais cela peut se comprendre. Ainsi se fixe-t-il beaucoup, énormément même, sur les travaux astronomiques de
Galilée, qui, pour être demeurés les plus célèbres, n'en sont pas moins qu'une petite partie de son activité scientifique. Mais bon, passons.
Indubitablement, la pièce pose des questions intéressantes, philosophiquement parlant, sur le rôle des sciences pour la société, sur le rapport que science et pouvoir entretiennent, sur les faiblesses du scientifique, pauvre par nature car non productif (sauf dans le cas où la découverte scientifique permet des retombées économiques immédiates) et donc constamment obligé de faire allégeance aux détenteurs de capital susceptibles de financer ses recherches, c'est-à-dire, très souvent les dirigeants politiques, jamais très éloignés des bourses bien pleines.
Indubitablement, le personnage de
Galilée est intéressant et
Brecht s'ingénie à le rendre complexe, multifacial, trouble, etc. Aussi multifacial, peut-être que les autres personnages m'apparaissent monolithiques. On sent bien que l'auteur souhaite absolument qu'on comprenne quelque chose à travers sa pièce, quelque chose qui dépasse sa pièce, quelque chose qui est éminemment dans l'air du temps et qui l'est encore aujourd'hui.
Mais je crois qu'il y a là un véritable anachronisme général — comme à plusieurs endroit de la pièce, par exemple quand il fait dire à
Galilée des mesure en millimètres cubes, mais peu importe à la limite — : porter un jugement sur les agissement d'époque de
Galilée avec un regard et des expériences de maintenant.
C'est quoi l'essence du
théâtre, du drame ? Soit la modification d'un personnage (comme
Une Maison de poupée d'
Ibsen reste un exemple phare), or, ici, dès le départ
Galilée est convaincu de ses convictions, donc ce n'est pas là que ça se joue. Soit un conflit : ici, c'est le conflit porté par Andrea Sarti, l'ancien élève de
Galilée, convaincu qu'il ne reviendra pas sur sa parole, même sous la torture, et qui est cruellement déçu en constatant que son modèle plie lamentablement et se dédit publiquement.
Là, je pense que
Brecht rate un petit peu quelque chose car son
théâtre devient trop manichéen. Les bons incorruptibles d'un côté, désireux de science et de bienfaits universels à l'usage de tous, les vilains corruptibles de l'autre, prêts à toutes les compromissions pour de l'argent ou des bénéfices personnels, quitte à ce que leur science soit utilisée à mauvais escient contre une majorité de la population.
Quand on sait les conditions de régime qui sévissaient à l'époque de l'écriture de la pièce en Allemagne, on comprend, on applaudit presque
Bertolt Brecht. Mais est-ce ça la fonction et la force du
théâtre ? le triomphe du
théâtre, c'est le triomphe des personnages, or, ici les personnages secondaires sont assez insipides et du personnage principal on n'a pas les déchirements.
À aucun moment on n'est vraiment dans la tête de
Galilée aux moments cruciaux, au moment des choix cornéliens qu'il a été amené à faire. Peut-être justement parce que l'auteur juge un peu trop son personnage au lieu de chercher à le comprendre. Dans l'ensemble, ce
Galilée n'est pas très attachant — aucun personnage d'ailleurs dans cette pièce — et si l'auteur s'était plus donné la peine de comprendre et de justifier
Galilée, elle aurait forcément perdu en valeur d'édification face aux événements contemporains qu'il entendait dénoncer.
Bref, quelle est la fonction du
théâtre ? Quel est le rôle que l'auteur doit donner à ses convictions personnelles par rapport aux personnages eux-mêmes ? En ce qui me concerne, à chaque fois que je vois un auteur qui souhaite à toute force me dire ce que je dois penser, je trouve qu'il y a malfaçon dans l'oeuvre. Une pièce, quand elle est vraiment réussie ne doit rien retirer à ses personnages.
Si je cherche une pièce traitant de la science et du mésusage de la science, je pense à Pygmalion de Shaw et je la trouve supérieure. Pourquoi ? Parce qu'à aucun moment son auteur ne cherche à faire passer ses convictions avant ses personnages. Si je cherche une pièce dont l'analogie historique est parfaite par rapport à ce que l'auteur cherche à dénoncer, je pense à Montserrat de Roblès et là encore je la trouve supérieure car elle touche à l'universel, elle n'est pas compréhensible et forte uniquement en regard de son contexte d'écriture.
Certes, ici la pièce de
Bertolt Brecht possède des qualités nombreuses mais elle n'est pas aussi bien sentie, à mon sens, que, par exemple, l'analogie magistrale entre le régime d'Hitler et les groupes mafieux de Chicago dans
La Résistible ascension d'Arturo Ui. Je la trouve beaucoup moins plaisante que Maître Puntila et son valet Maati car l'auteur y laisse moins les personnages exprimer tout leur potentiel scénique. Donc, en résumé, pas mal mais pas top, surtout quand on connaît le talent par ailleurs de
Bertolt Brecht, mais, bien entendu, une fois encore, ça n'est que mon avis, c'est-à-dire pas grand-chose.