Tout enfant, il s’était amusé à inventer d’interminables conversations entre les meubles de sa chambre : pour se désennuyer, car il habitait les pays du nord où les hivers ont de très longues nuits. Il avait reçu ce don, comme on reçoit du ciel des cadeaux favorables ou néfastes, sans savoir exactement ce qu’il devait en faire. Il aurait pu s’assurer une existence assez divertissante, en mystifiant les gens de son village et en égayant leurs soirées – ce qu’il fit d’abord avec un succès qui malheureusement le remplit d’ambition.
C’est votre avenir que vous voulez connaître… il vous appartient. À vous d’en faire ce qu’il vous plaira. À quoi vous servirait de savoir ce qui doit arriver si vous vous contentez de le subir passivement ?
Un homme nouveau sortit de ce bain nocturne et glacé. Le don qui avait été la consolation de sa solitude et la récompense de son amitié pour les choses lui devint une sorte de maléfice. Il ne pouvait apercevoir un objet quelconque sans engager avec lui une conversation, qui commençait d’une manière bouffonne, et finissait par devenir angoissante.
— Ne sommes-nous pas immortels ?
— Nous ne le sommes plus. Nous avons accepté le destin des hommes avec tout ce qu’il comporte de grandeurs et de misères. La mort en fait partie, Merlin. N’aviez-vous pas prévu cela ? Il n’y a plus de puissance magique, pour nous, plus d’éternelle jeunesse, plus d’immortalité.
Les nuits engendrent de nouvelles illusions, et leurs magies ténébreuses surpassent souvent la puissance des enchanteurs.
« Vie et mort de Gérard de Nerval », conférence de Marcel Brion, à l'occasion du 100ème anniversaire de la mort de Nerval. Première diffusion le 21 mars 1955 sur la Chaîne Nationale.