Parce qu'elle est artiste (multiforme : bande dessinée, laine, écriture, arts plastiques) et que nous savons tous que l'art nourri rarement son « homme »,
Marion Canevascini a décidé, sur un coup de tête, de postuler en tant que crêpière dans un restaurant nouvellement ouvert en Suisse.
Éreintée, dépassée, soumise à un stress constant (clientèle nombreuse mais personnel en sous-nombre), elle y est restée pourtant une bonne année car peu à peu, elle s'est sentie investie d'une mission : celle de témoigner.
Et elle le fait bien ! Son témoignage parsemé de notes littéraires, philosophiques, humoristiques, est une vraie peinture d'un modèle économique basé sur une rentabilité poussée à son paroxysme en écrasant les salariés, sans formation, sous le poids des multiples tâches à effectuer.
Sans formation particulière en restauration puisque l'entreprise forme elle-même ses employés, sur deux jours, au cours desquels ils doivent mémoriser la confection de trois pâtes différentes, le pliage des crêpes selon leur contenu et justement le continu variable presque à l'infini. Tout cela sans compter la réalisation de plusieurs sauces « maison ». Et bien sûr sans compter également les desiderata de la clientèle, comme « Cette commande : banane- chocolat sans banane mais avec une pomme. »
Mais ce n'est pas encore tout ! Rentrer chez soi n'éloigne pas, ou si peu, l'employé de son travail, non ! Il est tenu de lire tous les messages envoyés sur whatsApp et d'y répondre. Ne pas le faire serait une faute professionnelle. Et puis, c'est bien connu, l'entreprise est une grande famille dans laquelle réactivité et disponibilité (pardon flexibilité) sont les bases d'une saine et franche relation.
Un peu de repos après tout ça ?
Et bien pas vraiment, car voilà que se pointe un virus avec lequel il va falloir composer, le fameux Covid19. Alors si un peu de repos obligatoire est bienvenu pour quelque temps, fermeture administrative oblige, les employés doivent faire face à d'autres courses contre la montre pour ensuite honorer les commandes. Et toujours dans un souci de rentabilité, le patron, l'oeil toujours vif, a diminué les effectifs pour garder ses marges…
Je pourrais encore vous citer un bon nombre d'anecdotes, mais je vous invite plutôt à vous pencher sur cet ouvrage qui réunit bien des qualités et des niveaux de lecture différents.
C'est caustique, cruel, drôle et le reflet éminent d'une certaine façon de faire dans le domaine de la restauration. D'ailleurs, nous avons pu constater que depuis le Covid, les demandes d'emploi dans ce secteur d'activité restent très souvent non honorées, et pour cause !
Enfin, il faut souligner la qualité des illustrations, en grande majorité noires et blanches, finement crayonnées qui apportent un dynamisme supplémentaire au récit.
« Il y a plusieurs façons de se battre. L'écriture en est une. »
Un grand merci à Babelio et aux éditions Antipodes pour cette leçon de cuisine, vue depuis les coulisses.