Ainsi, il est vite apparu qu’à force de parler d’une « littérature à elles » (titre de l’étude d’Elaine Showalter), et d’affirmer l’existence d’une différence entre les auteurs femmes et les hommes, voire même de revendiquer une « écriture féminine », on prenait le risque d’isoler les écrivains femmes dans des catégories prédéterminées, de leur attribuer des caractéristiques dans lesquelles toutes ne se reconnaîtraient pas forcément, de sous-estimer l’importance d’autres facteurs ayant une influence sur la création, comme la lignée et la classe sociale. N’est-ce pas aller dans le sens des pratiques discursives repérées par Michel Foucault comme étant la base de l’aliénation de notre pensée que de croire en une « écriture féminine » d’essence naturelle, universelle et transcendante ? La constitution d’un champ d’études déterminé par le seul critère du genre de l’auteur ne repose-t-elle pas sur la croyance en une « différence » que certaines théoriciennes, comme Judith Butler, affirment par ailleurs être entièrement construite ? Ne convient-il pas, comme le suggèrent plusieurs théoriciens du genre, de distinguer sexe et genre, l’un étant d’ordre biologique, et l’autre une construction culturelle acquise par des pratiques et des comportements mimétiques dictés par la société ? Une étude de la littérature écrite par des femmes doit donc se garder de verser dans l’essentialisme ou de se figer dans des pratiques discursives du même type que celles qu’elle vise à dénoncer.
Est-il légitime de regrouper dans un même ouvrage des études portant sur différents auteurs sous prétexte qu’elles sont toutes des femmes irlandaises ? La littérature a-t-elle un sexe, ou du moins un genre ? Peut-elle être datée d’une certaine époque, ou correspondre à une nationalité distincte ? En France, patrie du structuralisme, où l’on a porté aux nues le formalisme russe, et où l’on a déclaré « la mort de l’auteur », l’étude textuelle détachée du contexte de production de l’œuvre littéraire a été érigée en une sorte de religion, souvent intolérante de toute autre approche, attitude dont les excès ont d’ailleurs été parfois soulignés, par exemple par Terry Eagleton ou Antoine Compagnon. Les études de genre, que plus personne ne songe à remettre en cause dans les pays anglo-saxons, où elles sont inscrites dans les cursus universitaires, sous le nom de « gender studies », sont considérées avec suspicion de ce côté de la Manche et de l’Atlantique, de même que les études culturelles, les « cultural studies », tant reste grande dans le milieu académique français la réticence à mêler sociologie, histoire et littérature ou à considérer une œuvre dans sa matérialité.