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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Manuel Mena est le grand-oncle de l'auteur, un phalangiste qui meurt à dix-neuf ans au combat et fut pendant des années l'héros officiel de la famille. Franquiste ou phalangiste, une mémoire peu honorable pour Cercas, qui ne voulait à aucun prix aller à la rencontre de ce personnage qui représente aussi sa famille et un passé politique qui le fait rougir de honte.
Mais nous voici quand même présent avec ce livre, qui parle justement de Manuel Mena, pourquoi ? Et vous allez vous dire quel en est l'intérêt, du moins pour le lecteur ? Qu'est-ce-qu'on peut bien raconter sur un mec inconnu, phalangiste ou pas, mort à 19 ans, sur 320 pages ? Eh bien c'est sans compter que l'auteur est Javier Cercas, et son talent narratif indéniable,
Une conversation avec un personnage qui connu son grand-oncle, devient un film
intense, où l'écrivain manie sa plume comme un objectif de caméra. Et justement, puisqu'il écrit en visionnant le film que son ami David Trueba suite à sa demande, a réalisé de l'entretien. En un mot, le procédé est génial, et nous apprend beaucoup plus grâce aux détails cinématographiques, que le simple contenu d'une conversation rapportée,
Bien qu'il soit le narrateur et parle à la première personne, son propre personnage de l'histoire, le petit-neveu de Manuel Mena est mise en scène comme le sieur Javier Cercas, un procédé amusant,
Et un dernier aspect narratif mineur, qui allège et donne du pep au texte, est qu'il l'agrémente en douce, mine de rien, de « commérages » ou autres digressions du genre, alors qu'il est en train de discuter ou penser à des choses sérieuses. Si bien que je suis allée assouvir ma curiosité sur internet, pour voir avec quel acteur irrésistible d'Hollywood, s'était barrée la femme de son copain David Trubea, réalisateur du film "'Les Soldats de Salamin ", adapté de son roman éponyme.......

À travers la courte histoire de Mena, Cercas nous trempe dans la grande histoire, celle de son pays sous la monarchie, qui en 1931 devint du jour au lendemain républicain. Une république qui entrera en crise en novembre 1933, et débouchera sur une guerre civile.....la suite c'est Franco et quarante ans de galère. Alors que pour la petite histoire il retourne à Ibahernando, le village natal de sa mère, et où est né Manuel Mena, "un village reculé, isolé et misérable d'Estrémadure, une région reculée, isolée et misérable d'Espagne, collée à la frontière portugaise". Et où à l'époque, son grand-père paternel Paco Cercas était le chef de la phalange. Mais comment expliquer qu'à Ibahernando où il n'y avait pas un seul phalangiste avant la guerre, ils le sont tous devenus, une fois la guerre éclatée , comme partout ailleurs ?
Cercas dissèque les deux histoires pour déboucher comme toujours sur des sentiers inattendus , brouillant les frontières entre fiction et réalité, d'autant plus que 80 ans ont passés depuis, et ce qu'il en reste comme témoignages, est assez mince et pas toujours fiable.
Résultat ? Tout ça, pour "Savoir", "Ne pas juger", "Comprendre". "C'est à ça qu'on s'emploie, nous, les écrivains.” dit-il. N'est-ce-pas aussi un des buts majeurs de nos lectures ?

L'histoire de Manuel Mena en elle-même n'a rien de particulière , un destin parmi des milliers d'autres, mais c'est la plume de Cercas dans le fond et la forme qui la rend unique. En l'écrivant, Cercas, un des meilleurs auteurs contemporains, que je connaisse, écrit en faites sa propre histoire, choisissant la voie de la responsabilité plutôt que celle de la culpabilité, concernant le mauvais côté de son héritage familial. Il ne tranche pas, nous exposant un espace d'expression en gris , où les méchants ne sont pas que des méchants, ni les bons que des bons. L'homme est ce qu'il est et la guerre une absurdité.

“Ne cherche pas à m'adoucir la mort, ô noble Ulysse !
J'aimerais mieux être sur terre domestique d'un paysan,
fût-il sans patrimoine et presque sans ressources,
que de régner ici parmi ces ombres consumées.... “
( Homère, L'Odyssée )
“ ....il n'y a pas d'autre vie que celle des vivants,... la vie précaire de la mémoire n'est pas la vie immortelle mais à peine une légende éphémère, un pâle succédané de la vie, et que seule la mort est indéniable."
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" Un littérateur pourrait répondre à ces questions car les littérateurs peuvent affabuler, pas moi: l'affabulation m'est interdite. "
"Je ne peux que m'en tenir aux faits, certaines choses sont avérées. Ou presque avérées.
Car le passé est un puits insondable et noir oú l'on arrive à peine à percevoir des étincelles de vérité , ce que nous savons est sans doute infiniment plus petit que ce que nous ignorons ...."

Pourquoi cette longue citation pour parler de ce livre en forme d'enquête fouillée et passionnante?
Parce qu'elle résume les raisons objectives du travail du grand écrivain - historien Javier Cercas.
Il cherche à comprendre les raisons qui ont mené son grand -oncle à devenir franquiste .


Le héros du livre: Manuel Mena avait 19 ans lorsqu'il fut tué , le 21 septembre 1938 , lors de la terrible bataille de l'Ebre, après son fourvoiement au sein de la phalange .

Sous- lieutenant dans une compagnie de tirailleurs de l'armée franquiste il était l'oncle de la Mére de Javier Cercas.
L'écrivain a toujours vu sa photo dans la maison familiale ,vaillant sous - lieutenant et figure de martyre au sein de la famille maternelle de Cercas , dans le village d'Estramadur oú il a grandi ..
Sa mére en garde un souvenir ému , il offrait toujours des cadeaux à la gamine qu'elle était alors....idéalisé par elle, comparé à Achille pour des idées au royaume des ombres....

Cette parenté , au contraire pour Cercas , cet oncle franquiste a longtemps été " le paradigme profondément encombrant , l'héritage le plus accablant " de sa famille ...

Javier Cercas est un spécialiste de l'Histoire de son pays, avec un grand H, la majestueuse histoire de son Espagne Natale à laquelle presque tous ses ouvrages sont consacrés .....

L'auteur finit par enfin écrire sur lui, bien que dissuadé par un ami pour qui la guerre civile est encore proche:" La vérité n'intéresse personne . " Il tergiverse , il doute , c'est aussi l'histoire de la maturation d'un livre , de sa mise à jour ....

Il enquête , consulte des archives , interroge des témoins encore vivants , collecte un certain nombre d'anecdotes, vérifie des dates, des lieux, confronte des témoignages afin d'appréhender au plus près les contours de cet oncle mort à l'aube de sa vie..

Les chapitres alternent entre ce qui est resté de la biographie de l'oncle et ceux détaillant l'enquête minutieuse de l'écrivain -historien.
Pourquoi ce jeune phalangiste s'est - il engagé?

Par conviction idéologique ? " Élan primaire " d'Aventures ?
Par désir de gloire ?
Par haine de la République ou pas?
L'écrivain ne s'autorise aucune affabulation, il s'en tient aux faits vérifiés.
Parfois il" cède la parole au silence " lorsqu'il lui arrive de ne pas savoir ....
Manuel Mena gagne au fur et à mesure de l'enquête en complexité dont nous ressentirons l'engagement comme ceux de l'auteur, les doutes, la complicité palpables .

L'auteur met à jour les contrastes et les ambiguïtés, , les causes de la guerre civile, les violences qu'elle a engendrées , s'interroge sur ceux qui furent franquistes " par action ou omission " , "foncer ou éclaircir les ombres"?
C'est une lumineuse réflexion philosophique sur la mémoire et l'héritage, l'héroïsme , la guerre, la vérité , l'exil.
Javier Cercas écrit aussi sur lui- même ,livre de la honte de la famille transformée en responsabilité selon "Hannah Harendt" .
Continuer d'avoir honte de sa famille et de l'héritage qu'elle lui laisse serait ajouter un " voile" sur une Histoire trés complexe .
" Savoir, ne pas juger, comprendre " , dit l'auteur à son cousin .
" C'est à ça qu'on s'emploie , nous les écrivains " .
Un livre instructif d'un grand écrivain.

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Que dire si ce n'est que je me suis profondément ennuyé à la lecture de ce livre qui ne veut pas dire son nom. Biographie ? Enquête ? Fiction ? Rien de tout cela. Un personnage mort à dix neuf ans, un homme qui sera aussi bien le héros du village que , 80 ans plus tard , celui qui a choisi le mauvais camp .Javier Cercas a longuement hésité à raconter l'histoire de ce membre de sa famille et on sent cette hésitation se manifester tout au long de cet ouvrage. Y aller ou pas ? Raconter ou non ?Et que sait on ?L'écriture est belle , une bonne traduction , certes ,mais , pour moi ,la magie et la dextérité de l'auteur ne fonctionnent pas et je trouve que l'histoire traîne, traîne,lassante , ennuyeuse. Ce n'est pas le premier ouvrage de cet auteur que je lis mais c'est le moins exaltant
Livre d'histoire très bien documenté, un cadre bien posé, mais un trop grand trouble règne autour du personnage de Manuel.On sent une grande pudeur , une grande retenue, un refus de trop en dire sur cet aïeul par trop encombrant et aussi parcequ'à sa place , pas sûr que la décision d'appartenir à tel ou tel camp ait été aussi facile que ça à prendre. Il y a des passages magnifiques,mais on retombe trop vite dans l'ennui.

J'avoue avoir été déçu. C'est mon point de vue. Cette histoire de famille n'est pas la mienne , même si je peux comprendre le but de l'auteur.Pourvu qu'il se soit rassuré , ce serait bien ,moi , je ne suis pas convaincu .
Un rendez-vous manqué , ça arrive.
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La photographie de Manuel Mena trône dans la maison familiale depuis toujours. Grand-oncle de Javier Cercas, phalangiste mort au combat dont il ne reste plus aucun autre souvenir concret. Et pourtant ce fantôme poursuit l'auteur depuis longtemps.
Ce roman se lit comme un documentaire, une recherche objective sur cet homme. J.Cercas en a besoin. Il hésite, il résiste, puis céde et se lance à sa rencontre, se disant qu'il n'en écrira rien et surtout pas un livre! Mais l'évidence s'imposera, il doit l'écrire. Cette décision est l'aboutissement d'un long cheminement que nous fait partager J.Cercas car, finalement " écrire sur Manuel Mena voulait dire écrire sur moi". J.Cercas parle de lui à la 3ème personne du singulier. J'entends ce choix comme une volonté de mise à distance ( qui d'ailleurs s'étompe progressivement) ; mise à distance de l'observateur qui se veut objectif car il affirme " si j'étais un littérateur et ceci une fiction je pourrais affabuler...." mais il me semble aussi que cette distance renvoie à la honte d'appartenir à la lignée dont le héros était "du mauvais côté". Cette phrase qu'il répéte comme une litanie " je ne suis pas un littérateur" je l'ai entendue presque comme "je ne suis pas là pour m'amuser"...car le sujet est doublement sérieux. Il s'agit de la guerre et du poid familial dont il a besoin, si ce n'est de se délester, au moins d'identifier clairement ce qui en constitue la nature. Cela m'a paru aussi une rhétorique pour énoncer de multiples hypothéses et permettre au lecteur d'accéder, lui aussi, à une meilleur compréhension du contexte historique dans lequel les espagnols se sont retrouvés piégés, de nous présenter la réalité crue et terrible des champs de batailles. Mais ce parti pris de mise à distance quasi scientifique devient une auto censure car elle lui interdit les émotions (les siennes et celles qu'il pourrait prêter à Manuel Mena ) ce qui , finalement l'empêche de s'approcher réellement de son grand-oncle qui reste "flou", "une statue" puisqu'il ne parvient pas à lui donner vie. Il va pourtant , lors d'un retour à Ibahernando, s'identifier malgrè lui à ce personnage, ressentir ce qu'il a pu vivre lui même en revenant en permission dans son village, cette notion "d'étranger" voire même "d'étrangeté". Mais son enquête piétine et il panique même à l'idée que l'histoire racontée par sa mère soit peut-être totalement fausse. Cela m'a fait penser à la force de ce qu'on nomme "le roman familial" et sa confrontation au réel, quelle version est-elle la plus proche de la réalité de celui qui s'y frotte !? Pourtant, il persévère et il avance car il me semble qu'il s'inscrit dans une filiation du devoir. Est-ce un hasard s'il emploie la même phrase pour parler de son engagement à écrire cette histoire "si ce n'est pas moi, personne d'autre ne la racontera" que celle du grand père Paco qui repond à sa femme qui l'intérroge sur sa décision de partir au combat " parce que si moi je n'y vais pas, personne n'ira, Maria" et Manuel Mena plus tard qui affirme à son oncle " parce que si moi je n'y vais pas, c'est toi qui devra y aller".
C'est un très beau livre, pas toujours facile pour moi car j'ai eu du mal avec les longues scénes de batailles, les descriptions de stratégie militaires, mais la quête de l'auteur sur le passé familial, sur la transformation intérieur qui en découle et sur la relation magnifique qu'il crée avec sa mère à la fin du récit l'emporte largement sur ces longueurs.
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Bien aimé ce roman
Ou comment un très jeune homme de 19 ans intelligent sensible et prometteur,issu d'un minuscule village reculé se retrouve happé par la guerre civile espagnole et meurt assez rapidement au combat ,côté fasciste
Parti fasciste dans lequel il se retrouve par la force des choses un peu à cause des circonstances et de son milieu d origine ,les villageois de l Espagne de 1934 se méfiant de tout ce qui est révolutionnaire ,sachant que cela n apporte que ruine et désolation ,
c est l Espagne enlisée dans la féodalité ,les notables du village et le clergé Règnent en maîtres .
L auteur retrouve une vieille photo du jeune homme ,relégué aux oubliettes de la famille.C est le point de départ de recherches sur la passé de sa famille
Sa famille se voulant progressiste , de gauche et niant ou occultant l'existence ce tout jeune homme
Un roman aux analyses très fines , tout en nuances ,qui souligne que tout n est jamais ni blanc ni noir .
Et qui réhabilite cet adolescent , fauché dansla fleur de l âge qui ne sera jamais plus que le monarque des ombres
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« C'était un franquiste fervent, ou du moins un fervent phalangiste, ou du moins l'avait-il été au début de la guerre. »

En une phrase, Javier Cercas nous laisse comprendre toute l'ambiguïté du personnage dont il fait le centre de son « roman non fictionnel ». Manuel Mena, son grand-oncle, est le héros de la famille. Il est mort à dix-neuf ans à Bot, Catalogne, lors de la bataille de l'Ebre.

Les Cercas sont originaires d'un village figé dans le temps et l'espace, en Estrémadure, le village de Ibahernando. Village de paysans pauvres et de paysans devenus locataires de leurs terres, village d'aristocrates qui vivent à Madrid. La fracture du monde paysan se fait quand les locataires de terres deviennent des patriciens et se prennent pour des aristos. Situation assez fréquente en Espagne mais qui se révèle terriblement destructrice au bout de seulement deux ans d'existence de la Seconde République, vers 1931. Dès lors, les intérêts divergent et chacun se range dans son camp, en s'en trompant parfois.

Le propos de Cercas est de faire revivre ce « héros de la famille », phalangiste plutôt que franquiste. Il veut écrire sur lui et aidé de David Trueba, cinéaste et écrivain, il enregistre les souvenirs de gens qui ont connu le « héros ». Parmi lesquels le « Tondeur », 94 ans et toute sa tête !

Il raconte l'histoire de ce village qui, en un clin d'oeil, est passé de monarchique à républicain, de soumission à l'Église riche et indifférente au choix du temple protestant, plus soucieux des gens pauvres et qui va développer l'école. Javier Cercas parle de sa famille, de ses deux grands-pères de droite, de sa propre mère sous la coupe du héros Manuel Mena et c'est l'histoire de toute l'Espagne que nous avons sous les yeux. Ces familles d'aujourd'hui, de gauche, athées, modérées, qui savent que, très proches d'elles dans leur arbre généalogique, se trouvent d'anciens phalangistes, d'anciens franquistes. Et qui n'en parlent pas.

« Un oncle facho ? Non, la famille au grand complet ! » s'exclame le personnage, « Toute l'Espagne ou presque était franquiste, par action ou par omission. »

Des années plus tard, et encore aujourd'hui, il est difficile d'aborder ces sujets.
« Dans l'Espagne des années 1970, le mot « réconciliation » était un euphémisme du mot « trahison », parce qu'il n'y avait pas de réconciliation possible sans trahison, du moins sans que certains trahissent. »

Javier Cercas donne la parole au chef de la Phalange et à « son idéalisme venimeux », José Antonio Primo de Rivera qui affirme les principes de son mouvement : anticapitalisme, anti-marxisme, non-adhésion au franquisme, nationalisme revendiqué : «  Arriba Espana, una, grande, libre ! ». Puis des décennies de dictature, d'exécutions, de tortures. La Phalange a fini par se plier sous la férule de Paquito !

Le narrateur raconte les assassinats perpétrés sous le nom de « la promenade », plus par les franquistes que par les républicains. Il raconte l'exécution d'une jeune fille qui n'avait pas d'autre tort que celui d'être la fiancée d'un révolutionnaire. Il raconte comment les franquistes ont recruté et formé en quinze jours 300 000 sous-lieutenants, « sous-lieutenant intérimaire, cadavre titulaire », disait-on alors !

Ce roman autobiographique est une recherche passionnée de « la vérité » d'un héros qui s'était trompé de camp, appuyée sur des documents d'époque, des photos, jusqu'à une touchante marguerite séchée depuis quatre-vingts ans entre les pages des papiers laissés par Manuel Mena.

Pour clore cette quête essentielle pour un auteur manifestement hanté par son oncle, nous nous rendons à Bot, petite ville où Manuel Mena mourut d'une blessure qu'on n'a pas pu soigner, ni opérer en temps utile. Et l'auteur semble enfin apaisé, bouclant un parcours douloureux dont le livre est la concrétisation, avec ce qu'il présuppose de conséquences pour la famille.

Comme toujours, on apprécie la sincérité de l'auteur, son souci de dissocier auteur et narrateur selon les moments de l'écriture, son souci de restituer scrupuleusement les faits, appuyés sur des entretiens avec des « anciens », puis des descendants d'anciens, jusqu'à peut-être ne plus être aussi fiable. Là, le littérateur prend la relève, dit-il. Et c'est ce qui me gêne : aucune bibliographie, des références minimes, invérifiables.

Ce qui me gêne aussi, ce sont ces deux procédés de style répétitifs jusqu'à l'indigestion : l'accumulation basée sur des dizaines de « et » très indigestes ; et la prétérition répétée : tout ce que je ne dirai pas mais que vous lisez sous ma plume. C'est long, pesant, indigeste.

Il n'en reste pas moins que ce livre est une mine d'informations, une démarche intelligente, honnête et courageuse pour raconter ce que fut réellement ce héros de 19 ans mort pour un idéal auquel il avait fini par ne plus croire, ce héros qui n'avait pas fait le bon choix en 1937.
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Javier Cercas nous livre une fois de plus une enquête, ou plutôt un roman-enquête. Celui-ci concerne son grand-oncle Manuel Mena, mort à 19 ans pendant la guerre d'Espagne du côté franquiste. Donc du mauvais côté. L'auteur, grâce aux rares traces écrites existant encore et aux témoignages des derniers témoins vivants, tel un détective dans l'Histoire, retrace le parcours de ce jeune homme, remonte sa destinée depuis son village perdu d'Estrémadure jusqu'aux circonstances de sa mort pendant la bataille de l'Ebre.
Un livre bien documenté, intelligent et, cerise sur le gâteau, d'une grande et délicate sensibilité.
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J'avoue avoir été déçu par ce roman avec lequel je découvre Javier Cercas. Pourquoi faut-il attendre la page 141 pour lire ce qui me semblait être la motivation essentielle de ce récit :
«Parce que nous ne sommes pas omniscients. Parce que nous ne savons pas tout. Quatre-vingt ans se sont écoulés depuis la guerre, et toi et moi on a dépassé la quarantaine, alors pour nous c'est du tout cuit, on sait que la cause pour laquelle Manuel Mena est mort n'était pas juste. Mais est-ce qu'il pouvait le savoir à l'époque, lui, un gamin sans aucun recul et qui, en plus, était à peine sorti de son village ?»
Javier Cercas ne se réjouit pas de compter parmi ses ancêtres un grand-oncle qui fut phalangiste, combattit contre les troupes républicaines et fut tué durant la bataille de l'Ebre. La plus meurtrière de la guerre civile espagnole.
C'est la raison pour laquelle, tout au long du récit il tourne autour de l'idée «dois-je ou non écrire ce livre sur mon grand-oncle ?»
Tantôt il fait oeuvre d'historien en rapportant avec la plus grand précision le détail des offensives et contre offensives des Républicains et des Franquistes.
Tantôt il se défend d'‘être un «littérateur» et se refuse à imaginer ce qu'a pu être la vie de Manuel Mena...
« Un littérateur pourrait répondre à ces questions car les littérateurs peuvent affabuler, mais pas moi : l'affabulation m'est interdite. Certaines choses, pourtant, sont avérées. Ou presque avérées.»
Tantôt il fait état de ses références littéraires en appelant à Drogo du désert des Tartares,à Hanna Arendt à Danilo Kis, à l'Achille du chant XI de l'Odyssée, ou à l'Ulysse qui lui rend visite dans la chambre des morts... héros de l'I
Tantôt il se perd dans des divagations comme lorsqu'il décrit par le menu ce voyage en voiture avec son ami David Truebas au cours duquel la radio passe une chanson de Bob Dylan ou un imitateur de Bob Dylan...
Certes il ne s'agit pas ici de défendre Manuel Mena ou de lui trouver des excuses pour son engagement aux côtés des Franquistes, mais une comparaison me vient à l'esprit, la façon dont Alice Zeniter dans l'art de perdre a traité l'histoire de son grand-père dont elle ignorait qu'il fut Harki, donc du «mauvais» côté, et la stratégie de dissimulation de son fils, le père d'Alice.
Il y a dans le roman de Zeniter un souffle, un réalisme, une absence de mise en scène de son mal-être face à ce qu'elle a découvert, que l'on ne retrouve pas chez Cercas...
Je m'attendais, naïvement peut-être, à une mise en perspective de cette histoire familiale dans laquelle il apparaît que le petit neveu d'un phalangiste peut défendre des idées totalement opposées à celle de son ancêtre.
J'attendais aussi une analyse plus profonde du mécanisme de l'engagement comme le laissait supposer ce qui est écrit p 83 et sur lequel le récit ne revient jamais :
« (...) la Phalange était un parti qui, avec sa vocation anti-système, son irrésistible aura de semi clandestinité, son refus de la distinction droite et gauche, son pari simultané et impossible sur le nationalisme patriotique et la révolution égalitaire et sa démagogie captivante, semblait être fait sur mesure pour séduire un étudiant (...) qui, à seize ans à peine, rêverait à l'occasion de ce moment historique décisif d'assener un coup brutal et libérateur à la peur et à la pauvreté qui tourmentait sa famille, et à la faim, l'humiliation et l'injustice qu'il voyait quotidiennement dans les rues de son enfance.»

Le roman hésite entre plusieurs genres ce qui à mon sens le dessert.

Dernier point à mettre au débit des éditions Actes Sud, la mauvaise qualité des reproductions des documents originaux est incompréhensible...
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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Une famille franquiste c'est lourd à porter, Javier Cercas appartient à une famille de ce genre, depuis toujours il a envie et besoin d'écrire sur sa famille, sur son grand-oncle
Comment écrire sur sa famille ? L'auteur fait le choix de l'enquête, enquête autour du héros de la famille, Manuel, l'oncle adoré de sa mère, enquête dans la petite ville d'Ibahernando berceau des Cercas.
Javier Cercas pour comprendre va interroger les anciens, ceux qui ont fait le choix du franquisme, ceux qui à contrario ont combattu dans les rangs républicains. Il reconstitue le parcours de Manuel Mena.

Il interroge les archives, livre des faits bruts : des dates, des faits. Il questionne les photos familiales, pour dresser un portrait sans fard qui peut à tout moment faire tomber le héros de son piédestal.
Le livre est aussi l'interrogation de Cercas sur le bien fondé d'un tel livre, comprendre les choix terribles qui se sont offerts à cette génération, les erreurs commises, le nationalisme exacerbé, l'impression de redonner la fierté aux pauvres, l'envie de livrer un juste combat et pour finir avoir servi un régime à l'opposé, un régime de terreur et d'exactions.



Il y a des pages magnifiques dans ce livre, le symbole de la maison où fut soigné Manuel Mena est fort et beau. le tableau de ce village en 1938 est passionnant, ces habitants pauvres mais qui croient qu'ils ont quelques privilèges durement gagnés et vont faire le choix du franquisme pour les protéger.
Manuel est le représentant de ces hommes incapables de comprendre que le nouveau régime va les renvoyer à leur misère et que seule la République aurait pu les défendre.
On sent à travers le récit et l'histoire familiale, la faille que représente le franquisme encore aujourd'hui.
Ce livre est le récit des erreurs commises par une génération, de l'ambiguïté des choix. Que faire de ce passé si pesant ?
En lisant Javier Cercas j'ai repensé au film magnifique : Lacombe Lucien, comment on choisit la mauvaise cause, au livre de Marie Chaix Les Lauriers de Constance et la culpabilité d'appartenir à une famille de collaborateur.



Lien : http://asautsetagambades.hau..
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«Le monarque des ombres», publié en 2017 et traduit par Aleksandar Grujicic pour les éditions Actes Sud (à paraître le 29 août prochain) fait écho aux «Soldats de Salamine» (paru en 2001), le roman qui a fait connaître Javier Cercas.
Dans «Les soldats de Salamine», roman au titre et à la construction énigmatique, Javier Cercas évoquait comment Rafael Sanchez Mazas, poète et théoricien des phalangistes espagnols réussissait à échapper par miracle à son exécution par des républicains espagnols en déroute en 1939.

« Il s'appelait Manuel Mena et il est mort à l'âge de dix-neuf ans au cours de la bataille de l'Èbre. Sa mort advint le 21 septembre 1938, à la fin de la guerre civile, dans un village du nom de Bot. C'était un franquiste fervent, ou du moins un fervent phalangiste, ou du moins l'avait-il été au début de la guerre : il s'était alors engagé dans la 3e bandera de Phalange de Cáceres, et l'année suivante, fraîchement promu sous-lieutenant intérimaire, il fut affecté au 1er tabor de tirailleurs d'Ifni, une unité de choc appartenant au corps des Régulares. Douze mois plus tard, il trouva la mort au combat, et durant des années il fut le héros officiel de ma famille. »*

* Troupes de l'armée espagnole recrutées au Maroc espagnol (note du traducteur)

Né en 1919 dans un village isolé d'Estrémadure, terre ingrate et archaïque où les paysans vivaient toujours au début du XXème siècle sous le joug d'une servitude moyenâgeuse, comme dans les «Saint innocents» de Miguel Delibes, Manuel Mena appartenait à une famille de paysans ni riche ni pauvre, ayant réussi à louer des terres, et ayant depuis l'illusion d'être passée du côté des patriciens.
Le parcours de ce jeune idéaliste «ébloui par l'éclat romantique et totalitaire de la Phalange», mortellement blessé en 1938 lors de l'absurde bataille de l'Èbre, l'un des épisodes les plus sanglants de la guerre civile espagnole, est le sujet du «Monarque des ombres» mais Manuel Mena n'est pourtant pas l'unique personnage central de ce roman impressionnant de maîtrise. Comme «Les soldats de Salamine», «Le monarque des ombres» est un récit à plusieurs niveaux où Javier Cercas, écrivain narrateur qui n'est pas tout à fait l'auteur, enquête et tente de reconstituer la trajectoire de son grand-oncle, en même temps qu'il questionne son propre regard sur ce personnage familial considéré comme glorieux, sa honte d'avoir appartenu à une famille de gens modestes et pourtant franquistes, et ses propres scrupules à raconter l'histoire de cet homme qui l'assaille depuis des décennies.

« C'est seulement alors que je songeai à mon livre sur Manuel Mena, au livre que toute ma vie je remettais constamment à plus tard ou que je me refusais toujours à écrire, et je me rends compte maintenant que j'y pensais parce que je compris soudain qu'un livre était le seul endroit où je pouvais dire à ma mère la vérité sur Manuel Mena, où je saurais et j'oserais lui dire. Devais-je la lui dire ? Devais-je coucher par écrit l'histoire de celui qui symbolise toutes les erreurs et les responsabilités et la faute et la honte et la misère et la mort et les échecs et l'horreur et la saleté et les larmes et le sacrifice et la passion et le déshonneur de mes ancêtres ? Devais-je prendre en charge le passé familial dont j'avais tellement honte et l'ébruiter dans un livre ? »

Tout en menant l'enquête dans ce roman sans fiction, comme avant lui «Anatomie d'un instant» ou «L'imposteur», en explorant ses propres atermoiements, Javier Cercas tourne autour du point aveugle de l'engagement phalangiste de Manuel Mena et déploie sous nos yeux les antagonismes et ambiguïtés de l'histoire. Il nous donne aussi à lire une formidable leçon de littérature en train de se construire, en convoquant Dino Buzzati, Homère et la peinture de Goya. En effet, le personnage de Manuel Mena, au fur et à mesure de l'enquête, gagne en épaisseur et en complexité, pour finalement d'une statue froide et sans vie, triste héros ayant fait le choix du mauvais côté de l'Histoire, devenir un réel personnage qu'on dirait fait de chair, dont on peut sentir l'engagement, la complexité et les doutes, palpables tout comme ceux de l'auteur, qui à la fin ne doute plus et se décide à raconter l'histoire familiale de ce monarque des ombres.

Retrouvez cette note de lecture et beaucoup d'autres sur le blog Charybde 27 ici :
https://charybde2.wordpress.com/2018/08/21/note-de-lecture-le-monarque-des-ombres-javier-cercas/
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