Quand la télévision nous égrenait bombardements, catastrophes naturelles, accidents aériens, ferroviaires et routiers, avec à la clé un nombre considérable de morts, maman ne pouvait s'empêcher de soupirer : « Et pourtant, ils sont tous de quelque part, ces pauvres gens ! » Etre de quelque part, c'est être rattaché par quelque chose qui nous dépasse à quelque chose en-dehors de nous : famille, amis, environnement social, professionnel… : ces gens « de quelque part" avaient des parents, des amis, connaissaient un boulanger, un boucher, un facteur, un banquier… Il y avait forcément quelqu'un, quelque part, qui pleurerait et penserait à eux au moment leur mort (La rue, malheureusement, a tendance à nous prouver le contraire, depuis quelque temps : le décrochage social, conséquence directe de l'égoïsme ambiant, est hélas une réalité pour beaucoup de nos concitoyens).
Le « de quelque part », pour beaucoup, et en particulier pour
Saint-Exupéry est clairement localisé dans l'enfance : « Je suis de mon enfance comme on est d'un pays ». El lequel de nous, en vérité, n'a jamais rêvé « d'être une heure, une heure seulement, être une heure, une heure quelquefois, être une heure, rien qu'une heure durant, beau, beau, beau et jeune à la fois » (la chanson propose un autre mot en option, en général il est livré avec le paquet-cadeau).
Qui mieux que les proches pour aider à faire ce retour aux sources : ceux d'entres vous qui s'intéressent à la généalogie, ont connu ce délicieux plaisir d'interroger les anciens et les faire parler de leur enfance, à mille milles de la nôtre. C'est à ce travail de recherche intime que s'est livrée
Simone de Saint-Exupéry pour nous parler de son frère. Monot (c'est son surnom) a puisé dans ses souvenirs pour retracer le portrait d'Antoine, frère chéri, et de cette « enfance merveilleuse dont la réminiscence peuplait déjà la solitude du désert saharien de
Terre des hommes » : « Il était, quelque part, un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j'aimais. Peu importait qu'elle fût éloignée ou proche, qu'elle ne pût ni me réchauffer dans ma chair, ni m'abriter, réduite ici au rôle de songe : il suffisait qu'elle existât pour remplir ma nuit de sa présence ». « Cinq enfants dans un parc », ce livre -témoignage, chargé de nostalgie et d'amour, met des images sur ces mots de Saint-Ex.
Si vous n'avez pas le livre sous les yeux, prenez-en la couverture sur Babélio (édition Folio) et voyez les cinq enfants, dépeints par Simone :
De gauche à droite :
Marie-Madeleine, l'aînée, dite Bébé, dite Biche, dite Mima (1897-1927) ; la moins agitée des cinq, rêveuse, artiste, timide et renfermée, elle est de constitution fragile et meurt de tuberculose à 30 ans.
Gabrielle, surnommée Didi, (1903-1986), la plus jeune de la famille : têtue mais en adoration pour son frère qui le lui rend bien, elle est la seule à avoir une descendance : ses enfants sont les héritiers de Saint-Ex.
François, dit le Père tranquille, (1902-1917) compagnon de jeu inlassable de son frère (dont il acceptait avec joie la tyrannie). Mort à quinze ans d'un rhumatisme au coeur.
Antoine, dit le roi Soleil, (puis plus tard Tonio, ou Saint-Ex)) (1900-1944).
Enfin à l'extrême-droite, Simone, dite Monot, (1898-1978) : elle ne prend rien au sérieux, elle rit de tout mais pleure quand les dahlias gèlent. Elle deviendra l'intello de la famille : historienne et paléographe reconnue, elle mettra une partie de sa vie à mettre en valeur l'oeuvre de son frère : on lui doit entre autres le très utile index de «
Citadelle »
« Cinq enfants dans un parc », ouvrage d'une délicate poésie, est à mettre en balance avec les «
Lettres à sa mère » écrites par Saint-Ex : on y comprend l'éclosion d'une conscience, comment une certaine éducation, dans un certain milieu, et baignée d'un certain bonheur d'enfance (bien que terni par les deuils) a pu faire naître
Antoine de Saint-Exupéry, l'homme et l'écrivain. Notre Tonio, notre Saint-Ex.