Texte d'une grande humanité au style agréablement simple mais percutant.
D'abord il y a ce possessif. On a l'habitude de l'article, « un » ou « le », mais là c'est « mon » alors ça surprend ;
mon traître, pourquoi ce possessif ?
Ensuite il y a cette construction curieuse du roman dans laquelle le personnage principal, Tyrone Meehan, apparaît comme terriblement sympathique alors que nous savons dès le début qu'il est un traître.
Alors, comme dans la vraie vie, le fil de la lecture nous entraînant, nous avons de plus en plus de mal à imaginer que cet homme, l'ami, le frère, le père, notre ami un peu, puisse commettre cette forfaiture.
Et puis très vite on oublie parce que nous sommes entraînés dans l'Irlande tumultueuse dans sa lutte contre l'occupant anglais.
Nous vivons le poids de la tension, la solidarité silencieuse et invisible de ce peuple opprimé, la haine fratricide entre catholiques et protestants.
Nous sommes entrainés par cette langue percutante, racée, sans fioritures inutiles de
Sorj Chalandon. Voilà de l'écriture ! Voilà du style ! Voilà un écrivain qui a quelque chose à dire et qui sait l'écrire avec talent. Ouh que ça fait du bien !
Mais le roman, lui, qu'en est-il ? C'est une réflexion sur ce qu'est la traîtrise.
Quand devient-on traître ? Qui peut le devenir ? Pourquoi et comment le devient-on ?
Et surtout un traître est-il un traître pour tout le monde ? Et finalement ne sommes-nous pas tous un peu traître, ne serait-ce qu'envers nous-mêmes ?
En trahissant, son traitre, a-t-il trahit leur amitié ?
Bien sûr la traîtrise est une des pires laideurs humaines et tout est question de degré.
Il y a de ces traîtrises qui vont mener d'autres hommes à la mort ou à la prison et il y a aussi de ces petites traîtrises qui blessent petit à petit. Qui blessent l'autre et qui peuvent aussi nous blesser nous-mêmes à force de renoncement à nos valeurs.
Acheté parce que j'avais aimé «
la légende de nos pères », j'ai plongé et je ne m'y attendais pas, dans le coeur de la guerre civile d'Irlande du Nord. Pour Antoine, notre narrateur, tout comme pour moi, c'est donc le hasard qui nous a conduits en Irlande du Nord
Et je m'y trouve bien, toujours un peu comme lui.
L'Irlande l'appelait sans qu'il le sache, moi je connaissais l'Irlande mais pas l'histoire du conflit qui l'ensanglanta et la marque encore profondément.
J'ai reconnu les ghettos, les fils barbelés, les peintures murales, le mur qui sépare les quartiers catholiques et protestants, les grilles sur les fenêtres.
Mais j'ai aussi reconnu la chaleur des irlandais, leur accueil, la musique, les pubs, la grisaille qui va si bien à la beauté rugueuse de ce pays.
Ainsi ce roman m'aura été d'un triple intérêt : le style, le thème et l'Irlande de Nord.
Je voudrais venir sur un point qui m'a chagriné : Souhaitant quelques précisions sur la façon dont la presse avait accueillit ce roman, je suis tombé sur un article, non signé, du point (site web) du 28/11/2013 qui révèle tout bonnement le secret de l'intrigue. Que des babéliotes le fasse par erreur et sans penser à mal, passe, mais qu'un professionnel, certes un journaliste, le fasse cela me choc infiniment et mérite que l'on dénonce cette bêtise, cette méchanceté.
Petit résumé si ça vous tente :
Le narrateur, Antoine, luthier parisien, va découvrir l'Irlande, et plus particulièrement l'Irlande du nord par accident, par succession de petits appels du destin ou du hasard qui vont le forcer à s'immiscer dans ce Nord brutal et brutalisé mais si envoutant.
Il voudrait l'Irlande comme sa patrie ; celle où l'on rencontre le plus de gens qui nous ressemble.
Il va connaitre Jim et Cathy O'Leary républicains, catholiques et chômeurs bien sûr.
Ils vont l'accueillir souvent faisant du petit français un irlandais d'adoption.
Antoine s'implique de plus en plus dans la cause nord-irlandaise qu'il voudrait sienne
Mais Tyrone Meehan, vétéran et commandant et héros respecté de l'IRA, dont il croise la route lui fera bien comprendre que jamais il ne sera irlandais et que ce qu'il peut faire de mieux pour la cause c'est d'être français et de jouer du violon pour ses guerriers.
Sans doute, par là, Tyrone cherchait-il à protéger Antoine ; à moins qu'il n'ai cherché à épargner sa propre gloire.
Tyrone deviendra son autre grand ami, son grand frère, son père en Irlande.
Mais Tyrone a trahit.
Durant 25 ans Il a vendu des renseignements aux britanniques qui l'on ensuite « balancé » à l'IRA.
Interrogé, il est relâché et se réfugie dans la maison paternelle
Il sera d'un coup de fusil de chasse dans le dos.