Marie-Sophie Laborieux est la mémoire vivante, le point focal de
Texaco. le quartier, tenant son nom du complexe pétrolifère niché dans la mangrove et qu'il surplombe en partie, est une sorte d'excroissance de "l'En-ville", Fort-de-France. Ensemble hétéroclite d'habitations faites de bric et de broc, il s'est développé, tel un madrépore, sous le regard hostile du béké propriétaire du terrain, qui n'a eu de cesse d'aller quérir les "céhêresses" pour mettre un terme à cette violation patente du droit de propriété. Aussitôt démantelé, aussitôt reconstruit. Sous l'impulsion de la câpresse - qui en a vu d'autres, et avec l'aide providentielle du maire charismatique et populaire
Aimé Césaire, le quartier, phénix renaissant de ses cendres ou chancre incurable selon que vous en soyez l'habitant ou un représentant de la loi et des possédants, demeure, insubmersible.
Scandé par des extraits apocryphes des Cahiers de Marie-Sophie Laborieux ainsi que de Notes de l'urbaniste au Marqueur de paroles, traduisant la mise en abîme du récit et la valeur mémorielle et orale d'un patrimoine immatériel de la créolité,
Texaco retrace les tribulations d'une famille depuis le XIXème siècle, chassée
De Saint-Pierre par l'irruption de la montagne Pelée, ballottée par les remous de l'histoire, jusqu'à son installation dans le bidonville aux marges de la capitale martiniquaise. A travers cette famille, c'est la destinée du peuple antillais, son émancipation progressive de l'idéologie colonisatrice dominante de la France de la métropole qui est retracée. L'argument du roman tiens sa force dans le partit pris formel de l'auteur, dont la langue est un mélange savoureux de français et de créole. Très franchement, on ne comprend pas tout, à moins d'avoir recours continuellement aux moteurs de recherche, au risque de nuire au rythme du récit, pas spécialement ébouriffant en lui-même. En l'absence de notes de bas de page, qu'on aurait fort apprécié, le texte étant loin d'être dénué de qualités littéraires, on se laisse porter par la puissance évocatrice des vocables inusités du récit, ce qui crée un certain flou poétique que certains apprécieront ; je n'en suis pas. L'ensemble, assez inégal, requiert une lecture soutenue, sous peine de se perdre quelque peu dans cette masse narrative.