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EAN : 9782253049517
Le Livre de Poche (31/12/1992)
4.41/5   17 notes
Résumé :
Ce témoignage poignant vient d'une Chine ravagée par les persécutions. Il a été écrit par une femme instruite qui a gravité dans les cercles diplomatiques et dans le milieu des affaires.
Parce qu'elle représentait tout ce que la Révolution culturelle avait décidé d'abattre, Nien Cheng fut placée en résidence surveillée par les Gardes rouges en 1966, puis incarcérée dans les pires conditions. Toutes les plus atroces tentatives pour lui faire avouer qu'elle aur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Ce sont Pearl Buck (1892-1973), Prix Pullitzer en 1932 et 6 ans plus tard Prix Nobel Littérature, qui m'a procuré tant de bonnes heures de lecture, et Han Suyin, auteure du best-seller "Multiple splendeur", "Life is a Many-Splendored Thing", qui m'ont incité à essayer une autre grande dame de cet univers chinois, Nien Cheng. Puis, la ville de Shanghai, au riche passé mystérieux et mystique, m'a complètement convaincu de lire sa volumineuse autobiographie (487 pages) et unique ouvrage : "Vie et mort à Shanghai" de 1986.

Le 3 juillet 1966, la vie paisible de Nien Cheng ou Zheng, 51 ans, chavire. de grand matin, cette ancienne responsable de la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Shell (connue pour son charmant slogan publicitaire d'il y a quelques années : "C'est Shell que j'aime") à Shanghai est amenée "manu militari" à une réunion de critiques et autocritique de l'ancien comptable de l'entreprise, Dao Fong, comme "agent de l'impérialisme" étranger. C'est le début de la "Grande Révolution culturelle et prolétarienne", lancée par ce génie de Mao et notre Nien se rend parfaitement compte, qu'à travers le triste sort de Dao, c'est en fait elle qui soit visée.

Sur la couverture du livre, l'éditeur note : "Un document bouleversant : le courage d'une femme confrontée à l'une des plus grandes aberrations de l'histoire". Et Albin Michel a 2 fois raison : d'abord en ce qui concerne le courage dans la souffrance de Nien Cheng et ensuite sur le désastre qu'a été pour des dizaines de millions de Chinois cette vaste et criminelle campagne de la révolution culturelle.

Sur cette colossale bêtise, qui a duré 10 ans, de 1966 jusqu'à la mort du Grand Timonier en 1976, je peux vous recommander l'excellent ouvrage de Frank Dikötter "The Cultural Revolution : A People's History, 1962-1976", ouvrage très complet ; de la jeune diplomate française en Chine, Annie le Cage, "Turbulence dans un ciel clair : A Pékin, à l'aube de la Révolution culturelle" et de YongYi Song "Les massacres de la Révolution culturelle ".

Et sa prémonition l'a, hélas, pas trompé. Notre Nien est soumise à un interrogatoire débile, où elle défend l'accord intervenu entre la Chine et Shell au moment de la reprise de la société par la République et avantageux pour les Chinois. Mais ce n'est certainement pas cela que ces apparatchiks fanatiques veulent entendre. En d'autres mots, un dialogue de sourds entre des gens d'origine fondamentalement opposée.

Yao Nien-Yuan, née à Beijing en 1915 dans une famille aisée, a fait des études à la London School of Economics, dans les années 1930, où elle a rencontré Kang-chi Cheng, qui allait devenir diplomate et qu'elle épousa. Avec son mari, elle a vécu de 1941 à 1948 à Canberra en Australie. Après la prise du pouvoir par Mao, Cheng devint directeur de Shell Shanghai, et à sa mort en 1957, le nouveau directeur (un anglais) à demandé à Nien d'être sa main droite, jusqu'à la reprise par le régime communiste, en 1966.

Après l'interrogation ont suivi la résidence surveillée, l'incarcération, et le bagne de cette "espionne" à la solde des Britanniques. Je ne vais pas résumer la descente en enfer de Nien, que je vous laisse découvrir. Toutefois, il m'est impossible de ne pas mentionner le sort de son unique enfant, sa fille Meiping Cheng, une jeune actrice de cinéma. Une fois libérée, Nien a appris qu'elle a été battue à mort par des Gardes Rouges, parce qu'elle avait refusé de faire des déclarations compromettantes contre sa mere. Officiellement, Meiping s'était suicidée, mais notre Nien, coriace et tenace comme lors de sa longue captivité, a mené sa petite enquête et a réussi à identifier l'assassin de sa fille : un certain Hu Yongnian, qui a été envoyé en taule de 1980 à 1995.

Non sans un peu de recherches (car le livre ne comporte malheureusement pas de photos), j'ai trouvé une photo de mère et fille Cheng, que je me suis empressé d'ajouter à la base des données de Babelio.

En 1980, profitant d'un visa pour visite à de la famille en Amérique, Nien n'est plus jamais retournée en Chine. Qui lui donnerait tort ? Elle s'est établie à Washington, où elle a écrit son autobiographie saisissante. Elle y est décédée d'insuffisance rénale en novembre 2009, à l'âge de 94 ans.

Une petite anecdote personnelle sur Han Suyin : Ayant aimé le film d'Henry King "La coline de l'adieu", basé sur son livre précité, avec William Holden et Jennifer Jones, dans le rôle de la romancière, et connaissant la chanson "Love is a Many-Splendored Thing", lorsque l'université de Louvain a fait de la docteure Suyin une professeure "honoris causa", en 1968, j'ai été tout étonné de la voir, tôt le lendemain de la journée officielle, attablée seule devant un thé dans le café d'étudiants où j'avais coutume de prendre mon petit déjeuner (café noir + cigarettes). J'ai pris tout mon courage à 2 mains et - comme un grand - je lui ai apporté un 2ème thé, toute en lui demandant à quelle faculté elle était inscrite ? J'ignore si c'est mon compliment déguisé ou mon anglais approximatif qui l'ont fait rire aux éclats et me faire signe de m'asseoir. J'ai donc eu le grand mais bref (elle devait prendre un train pour Lausanne) honneur de m'entretenir avec cette dame de début la cinquantaine, à l'époque.

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Cet ouvrage particulièrement poignant, à l'écriture sensible, ainsi que forgé par des analyses pertinentes, font de ce témoignage de Nien Cheng, Chinoise d'origine, un recueil-témoignage essentiel pour notre compréhension du système Totalitaire Communiste et plus spécifiquement, ici, Maoïste.

Nien Cheng travaillait dans la compagnie Britannique pétrolière Internationale, Shell. Après la première grande tragédie pour le Peuple Chinois que fut le « Grand Bond en avant » entre 1958 et 1960, Mao Zedong décida de mettre en place la « Révolution Culturelle » entre 1966 et 1969. Les « meetings de lutte », les réunions d'endoctrinement politique (qui duraient souvent toute la nuit) et les réunions d'autocritiques obligatoires, devinrent de plus en plus fréquents.
Durant cette période de persécution intense que fut la « Révolution Culturelle Prolétarienne », les Gardes Rouges Chinois avaient comme objectif de traquer et d'enfermer des innocents sous les absurdes et infâmes prétextes Idéologiques, de : « Droitiers », « Ennemis de classe », « Impérialistes », « Capitalistes », « Bourgeois », « Contre-Révolutionnaires », etc.

Dans le cadre de cette Terreur de masse, Nien Cheng travaillant dans une société Internationale fut donc arrêtée comme : « espionne à la solde de l'Impérialisme ».

Au lancement de la « Révolution Culturelle » à Shanghai, lorsque les Gardes Rouges déboulèrent dans la ville, l'auteure fut témoin de comportements d'une violence inouïe, comme : la fermeture des Églises et des temples, des autodafés de livres religieux, car dans le monde Totalitaire Communiste, la croyance est interdite. La croyance est considérée comme une « superstition » à caractère « contre-révolutionnaire ». En Chine Maoïste la seule croyance, qui plus est obligatoire, était celle concernant les préceptes Marxiste-Léninistes contenus dans le « Petit Livre Rouge de Mao » et dans ses autres écrits. En effet, chaque Chinois devait acquérir et connaître le « Petit Livre Rouge de Mao ».
Voici une description éclairante du jusqu'au-boutisme Idéologique aveugle, délirant, déshumanisant et barbare, exprimée par Nien Cheng, de la Terreur que faisaient régner les Gardes Rouges, en envahissant les rues de Shanghai (pages 66, 67 et 68) :

« Dans les jours qui suivirent le passage en revue du premier contingent de Gardes rouges par Mao, les Gardes rouges de Shanghai prirent possession des rues et de la ville. Les journaux annoncèrent que leur mission était de débarrasser le pays des « quatre vieilleries » – ancienne culture, anciennes coutumes, anciennes habitudes, et anciennes façons de penser. On ne donnait pas de définition claire d' »ancien » ; c'était aux Gardes rouges d'apprécier. Pour commencer, ils changèrent les noms des rues. La principale artère de Shanghai le long des quais, le Bund, fut rebaptisée boulevard Révolutionnaire. Une autre grande rue devint l'avenue du 1er-Août pour évoquer le Jour de l'Armée. La route où se trouvait le consulat d'Union soviétique fut appelée rue Antirévisionniste, tandis que celle de l'ancien consulat Britannique prenait le nom de rue Anti-impérialiste.
(…) Les Gardes rouges s'interrogèrent sur l'opportunité d'inverser les feux tricolores. Ils trouvaient que le rouge aurait dû signifier qu'il fallait passer, et non s'arrêter. En attendant, ils interrompirent le fonctionnement des feux.
Ils brisèrent les vitrines des fleuristes et des antiquaires parce q'ils disaient que seuls les riches avaient de l'argent à dépenser pour de telles frivolités. Ils examinèrent les autres magasins et détruisirent ou confisquèrent les articles qu'ils considérèrent comme dangereux ou incompatibles avec une société socialiste. Leurs critères étaient très stricts. Comme ils pensaient qu'un révolutionnaire ne devait pas s'asseoir sur un canapé, tous les canapés devinrent tabous. Les matelas à ressorts, la soie, le velours, les cosmétiques, et les vêtements occidentaux furent jetés dans la rue en attendant qu'on les emporte ou qu'on les brûle.
(…) Comme les Gardes rouges avaient vidé les vitrines, on remplaça les articles exposés par le portrait officiel de Mao. Si bien qu'en parcourant les rues commerçantes, on était d'autant plus perdu que toutes les boutiques portaient le même nom et qu'on avait l'impression d'être regardé par des centaines de portraits de Mao.
(…) D'autres Gardes rouges arrêtaient les bus, distribuaient des tracts, faisaient des discours aux passagers et punissaient ceux dont les vêtements ne leur convenaient pas. le guidon de la plupart des bicyclettes s'ornait d'un carton rouge portant des citations de Mao ; ceux qui n'en avaient pas muni leur engin se voyaient arrêtés et sermonnés. Sur le trottoir, les Gardes rouges engageaient les gens à crier des slogans. Chaque groupe de Gardes rouges était équipé de grands portraits de Mao montés sur cadre, de tambours et de gongs. Aux carrefours, des haut-parleurs diffusaient des chants révolutionnaires. Dans ma tenue de prolétaire, je me fondais dans la foule et personne ne faisait attention à moi.
(…) Soudain je vis un groupe de Gardes rouges saisir une jolie jeune femme. Tandis que l'un d'entre eux la tenait, un autre lui enlevait ses chaussures et un troisième découpait les jambes de son pantalon. Ils criaient :
« Pourquoi portes-tu des chaussures pointues ? Pourquoi portes-tu un pantalon étroit ?
– Je suis une ouvrière ! Je ne suis pas une capitaliste ! Laissez-moi partir !
La jeune femme se débattait. Dans la lutte, un Garde rouge lui enleva complètement son pantalon, à la grande joie des spectateurs. Il la gifla pour qu'elle cesse de se débattre. Elle s'assit sur le sol poussiéreux, la tête enfouie dans ses bras. Entre deux sanglots elle hoquetait :
« Je ne suis pas une capitaliste ! ». »

Les femmes aux cheveux permanentés et les hommes aux cheveux gominés étaient arrêtés. Puis le terrible récit continue (pages 69 et 70) :

« Je dirigeai mes pas vers la maison quand, au coin de la rue, je fus presque renversée par un groupe de Gardes rouges surexcités qui traînaient un vieillard au bout d'une corde. Ils criaient et frappaient le pauvre homme avec un bâton. Je reculai précipitamment et me collai au mur pour les laisser passer. Soudain le vieil homme s'écroula sur le sol.
Cela faisait pitié de le voir avec sa chemise déchirée et ses yeux mi-clos sous ses sourcils gris. Les Gardes rouges tirèrent sur la corde. Comme il ne se levait toujours pas, ils le piétinèrent. le vieillard cria de douleur.
« Sale capitaliste ! Exploiteur des travailleurs ! Tu mérites la mort ! » criaient les Gardes rouges.
(…) Nuit et jour, la ville résonnait des tambours et des gongs. de toutes parts, des bruits me parvinrent sur la mise à sac et le pillage de maisons privées.
(…) La violence des Gardes rouges grandissait. On parlait de victimes humiliées, terrorisées et souvent tuées quand elles résistaient. Les articles de journaux et les discours des leaders maoïstes encourageaient et félicitaient les Gardes rouges pour leur vandalisme. On les qualifiait de véritables défenseurs de la Révolution prolétarienne, on les exhortait à ne pas avoir peur et à surmonter les difficultés dans leur oeuvre de renversement de l'ancien monde et de reconstruction d'un nouveau monde sur les bases des enseignements de Mao. »

Puis, ce fut au tour de Nien Cheng : d'être perquisitionnée, d'avoir sa maison pillée et vandalisée, et le début de son long processus d'interrogatoires commença, car elle était accusée d'être une « espionne à la solde de l'Impérialisme » donc une « ennemie de classe ».

Assistant impuissante au saccage de sa maison et de toute sa vie par les Gardes Rouges (composés d'enseignants et d'étudiants), Nien Cheng effarée par leur brutalité absurde, les questionna (page 83) :

« Dans ma chambre, les Gardes rouges tapaient sur les meubles. Ils cassaient aussi mes disques sous mes yeux. Je dis à l'enseignant :
« Ce sont des disques de musique classique des grands maîtres européens des XVIIIe et XIXe siècles, pas de la musique de danse pour boîtes de nuit. Ce genre de musique occidentale est enseignée dans nos académies. Pourquoi ne pas donner ces disques à la Société musicale ?
– Vous vivez dans le passé, me répondit-il. Ne savez-vous pas que notre Grand Dirigeant a dit que toute la musique occidentale est décadente ? Seuls sont corrects certains passages de certaines compositions, pas une seule composition entière.
– Est-ce que chaque élément d'une composition n'est pas partie intégrante de l'ensemble ? murmurais-je ?
– Taisez-vous ! Que voulez-vous que les paysans et les ouvriers fassent de Chopin, Mozart, Beethoven ou Tchaïkovski ? Nous allons composer notre propre musique prolétarienne. Quant à la Société musicale, elle est dissoute. »

Faisant toujours preuve d'un très grand sang-froid, l'auteure nous interpelle alors par cette profonde réflexion (page 80) :

« Est-ce que nous ne possédons pas tous dans notre nature des tendances destructrices ? le vernis de la civilisation est très mince. En dessous, l'animal veille en chacun de nous. Si j'avais été jeune et que je fusse sortie d'un milieu ouvrier, si j'avais été élevée dans l'adoration de Mao et qu'on m'eût amenée à croire qu'il était infaillible, est-ce que je n'aurais pas agi comme les Gardes rouges ? »

Nien Cheng précise dans son analyse concernant l'Utopie d'une société Communiste, qui serait soi-disant égalitaire, que les dirigeants Totalitaires finissent toujours par « être plus égaux que les autres » (pages 90 et 91) :

« Quand j'étais étudiante, j'y croyais aussi. Mais après avoir vécu en Chine communiste pendant dix-sept ans, je savais qu'une telle société n'était qu'un rêve parce que ceux qui s'emparaient du pouvoir devenaient invariablement une nouvelle classe dirigeante. Ils avaient le pouvoir de régenter la vie des gens et de faire plier leur volonté. Comme ils contrôlaient la production et la distribution des biens et des services au nom de l'État, ils jouissaient de privilèges matériels inaccessibles au commun du peuple. En Chine communiste, on conservait les détails concernant la vie privée des dirigeants comme des secrets d'État, mais tous les Chinois savaient que les dirigeants du Parti vivaient dans de spacieuses demeures avec de nombreux domestiques, obtenaient leurs provisions dans des boutiques réservées où on trouvait des articles de luxe à des prix dérisoires et envoyaient leurs enfants, dans les voitures conduites par des chauffeurs, dans des écoles spéciales où enseignaient des professeurs triés sur le volet. Alors même que tous les Chinois savaient comment vivaient les dirigeants, personne n'osait en parler. Quand nous devions passer dans une rue où se trouvait l'une de ces boutiques réservées aux militaires et aux officiels, nous regardions ostensiblement ailleurs pour éviter de donner l'impression que nous en connaissions l'existence.
Chacun savait que Mao Zedong lui-même vivait dans l'ancien Palais d'hiver des empereurs de la dynastie Qing, et qu'il était servi par une armée de jeunes et jolies jeunes filles. Il pouvait ordonner aux Gardes rouges de déchirer la Constitution, de frapper les gens et de mettre leurs maisons à sac et personne, pas même d'autres dirigeants du Parti, n'osait s'opposer à lui. Même cet officier de liaison, un cadre subalterne, pouvait décider du nombre de vestes auquel j'avais droit dans mon propre stock de vêtements, et de la façon dont je devais vivre à l'avenir. Il pouvait prendre toutes ces décisions arbitraires concernant mon existence et me faire la morale, voire m'accuser de crimes imaginaires simplement parce qu'il était un représentant du Parti et moi une citoyenne ordinaire. Il avait des pouvoirs et je n'en avais aucun. Nous n'étions égaux en rien. »

Nien Cheng étant considérée comme une « ennemie de classe », sa fille qui était actrice, était par voie de conséquence, elle aussi, « contaminée » socialement, ce que l'auteure nous explique (page 111) :

« Avec l'escalade de la violence et son extension à un nombre toujours croissant d' »ennemis de classe », un nouveau slogan fut forgé pour souligner combien étaient indésirables les enfants des familles de la classe capitaliste. Il disait : « Un dragon naît d'un dragon, un phénix d'un phénix, et une souris naît avec la capacité de creuser un trou dans le mur ». Cela signifiait que puisque les parents étaient des ennemis de classe, les enfants seraient naturellement eux aussi des ennemis de classe. Je trouvais plutôt surprenant, dans un pays professant le matérialisme historique, qu'un slogan s'appuie entièrement sur la génétique, mais je n'avais ni le temps ni le coeur de théoriser. Peu après la publication de ce slogan, ma fille Meiping fut exclue des rangs des « masses » et placée dans « l'étable » où on avait rassemblé tous les « ennemis de classe » du Studio. Dans « l'étable », les victimes passaient leur temps à écrire et récrire leur autocritique afin de se purger de leurs idées hérétiques contraires à la Pensée de Mao Zedong. »

Très tôt, durant les perquisitions dans sa maison et dès les premiers interrogatoires par les Gardes rouges, Nien Cheng extrêmement intelligente, courageuse, déterminée, incorruptible et d'une très grande force de caractère, décida que peu importaient : les circonstances, les risques de tortures et de mort sur sa propre existence, elle n'avouerait et ne signerait JAMAIS de faux aveux (page 122) :

« Dans la Chine de Mao Zedong, aller en prison ne signifiait pas la même chose que dans une démocratie. Un homme était toujours présumé coupable jusqu'à ce qu'il prouve son innocence. Les accusés n'étaient pas jugés sur leurs propres actes mais sur la quantité de terre jadis possédée par leurs ancêtres. Un nuage de suspicion planait toujours sur la tête de ceux qui ne pouvaient se prévaloir d'une bonne origine de classe. Et puis, Mao avait jadis déclaré que la population comptait 3 à 5 pour cent d'ennemis du socialisme. Pour prouver qu'il avait raison, au cours des campagnes politiques successives, 3 à 5 pour cent des membres de tout groupe – dans les administrations locales comme dans les usines, les écoles ou les universités – devaient être déclarés coupables, et un bon nombre se retrouvaient soit en camps de travail, soit en prison. Dans ces conditions, il était fréquent qu'une personne totalement innocente soit incarcérée.
(…) A partir du moment où je fus impliquée dans la Révolution culturelle, en juin, et où je décidai de ne pas faire de faux aveux, je n'avais jamais écarté la possibilité de me retrouver en prison. Je savais que beaucoup de gens, y compris de vieux membres du Parti, en venaient, sous la contrainte, à avouer rituellement leur culpabilité, espérant éviter l'affrontement avec le Parti ou atténuer leurs souffrances immédiates par leur soumission. Beaucoup d'autres perdaient la raison. »

Nien Cheng fut donc arrêtée arbitrairement dans la nuit du 27 septembre 1966, puis incarcérée à la Maison d'arrêt n°1 de Shanghai. On peut même parler de rafle dans ce contexte généralisé de persécution des « ennemis » imaginaires. Lors de son incarcération, Nien Cheng fut ignominieusement séparée de sa fille, Meiping.
Les interrogatoires consistant à vouloir lui faire avouer n'importe quoi s'enchaînèrent durant les 6,5 années de sa détention, entre 1966 et 1973. Ces interrogatoires étaient totalement surréalistes, mais Nien Cheng en utilisant judicieusement les propres citations de Mao, arrivait systématiquement à retourner les séances d'interrogatoires à son avantage, sachant pertinemment qu'ils n'avaient évidemment aucunes preuves contre elle.
Pour affaiblir le moral et la résistance psychologique des détenus, obligation leur était faite, de lire des citations de Mao, comme par exemple (page 230) :

« Contre les chiens courants des impérialistes et ceux qui représentent les intérêts des propriétaires terriens et la clique réactionnaire du Guomindang, nous devons exercer le pouvoir de la dictature pour les supprimer. Ils n'ont que le droit d'être dociles et obéissants. Ils n'ont pas le droit de parler ni d'agir quand ce n'est pas leur tour. »

Une autre citation de Mao (page 243) :

« La révolution n'est pas un dîner de gala ; elle ne se fait pas comme une oeuvre littéraire, un dessin ou une broderie ; elle ne peut s'accomplir avec autant d'élégance, de tranquillité et de délicatesse, ou avec autant de douceur, d'amabilité, de courtoisie, de retenue et de générosité d'âme. La révolution, c'est un soulèvement, un acte de violence par lequel une classe en renverse une autre. »

P.S. : Vous pouvez consulter ce commentaire, dans son intégralité, sur mon blog :
Lien : https://communismetotalitari..
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Je ne pourrai certainement pas égaler la critique de Kielosa que je vous invite à relire, mais en ces moments si tragiques à Kiev, j'ai repris ce livre que j'avais lu avant un voyage à Shanghai, ville fascinante, cosmopolite, très différente de l'austère Pékin, avec ses différents quartiers très différenciés. Nien Cheng est morte en exil en 2009. La situation a-t-elle changé depuis 13 ans ? Difficile à dire. Mao est toujours sur les billets de banque de ce pays passé au capitalisme appelé euphémiquement «socialisme à la chinoise». de Marx, il ne reste rien. du communisme répressif, il reste l'essentiel, mais à la différence de la Russie-URSS, il n'y a pas de guerre avec les voisins, pas de Berlin 1953, pas de Budapest 1956, pas de Prague et de Pologne 1968, pas d'Ossétie ni de Donbass. Il est vrai que la Chine n'avait pas les états satellites qui, selon l'expression de la doctrine Brejnev, ne bénéficiaient que d'une «souveraineté limitée». le martyre de Nien Cheng est insupportable, et cela va jusqu'à la mort de sa fille qui, même sous la torture, n'a jamais voulu inventer des crimes imaginaires contre sa mère. Les gardiennes peuvent se montrer cruelles quand elles se savent observées par leurs supérieurs, et plus humaines quand ils sont partis. Quand Nien Cheng ne peut plus marcher ni monter un escalier, et qu'on la voue à rester sur un brancard crasseux, le médecin l'autorise exceptionnellement prendre l'ascenseur réservé au personnel. Heureusement, dans ce continent d'horreur, il y a comme des ilots avec un sursaut d'humanité. Une lueur d'espoir à la dernière page du livre, écrit en 1986 : «Bon nombre des étudiants qui rentrent en Chine après avoir étudié dans des universités occidentales occuperont un jour des postes de responsables. La Chine est maintenant beaucoup plus consciente de son image aux yeux du monde et désire que cette image soit bonne». Qu'en est-il vraiment ?
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Ce qu'il y d'unique dans ce livre outre la leçon de courage que nous donne l'auteur, c'est l'analyse pénétrante exceptionnelle des événements politiques que Nien Cheng  »lit entre les lignes »
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Excellent livre, passionnant du début à la fin.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Un homme était toujours présumé coupable jusqu'à ce qu'l prouve son innocence. Les accusés n'étaient pas jugés sur leurs propres actes, mais sur la quantité de terre possédée jadis par leurs ancêtres... Mao avait jadis déclaré que la population comptait 3 à 5 pour cent d'ennemis du socialisme. Pour prouver qu'il avait raison, au cours des campagnes politiques successives, 3 à 5 pour cent des membres de tout groupe - dans les administrations locales comme dans les usines, les écoles ou les universités - devaient être déclarés coupables.
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Les habitants de la ville connaissaient très bien le genre de voiture où j'avais pris place. Chaque fois que nous devions nous arrêter, une foule de curieux nous entouraient pour voir 'l'ennemi de classe" qui se trouvait à l'intérieur.
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