Un témoignage à chaud sur la Révolution française et l'esprit de parti. le texte date d'avril 1791, sous le régime de la monarchie constitutionnelle. Plus d'un an avant la proclamation de la Première République. Plus de deux avant la Terreur.
Certains veulent alors surenchérir dans la geste révolutionnaire, Chénier, révolutionnaire convaincu, a lui plus confiance dans la solidité du jeune edifice. Il est temps pour lui d'installer réellement la Révolution, dans sa tranquillité, sa normalité. le moment est venu du règne de la loi, contre toutes les tyrannies.
La tyrannie qu'il vise ici ponctuellement est surtout celle des minorités qui veulent poursuivre l'action violente, maintenir l'état d'exception, en se proclamant porteurs de la volonté du peuple. Ce faisant il a la dent dure contre ceux qui laissent faire, contre un gouvernement qui n'applique pas la loi et n'assure pas la sûreté. Les Sans-culottes, les clubs et le gouvernement sont renvoyés dos-à-dos avec les contre-révolutionnaires. L'esprit de parti est pour Chénier une impasse politique majeure. «Les Français sont plus divisés par les haines que par les opinions.» Chénier idéalise respectueusement l'Assemblée nationale et espère dans la puissance de la Constitution.
«Souvenons-nous bien que toutes les personnes, que tous les clubs, que toutes les coteries délibérantes ou non délibérantes passeront ; que la liberté restera, parce que la France entière la connaît, la veut, la sent; que le fond de la constitution restera à jamais, parce qu'il n'a point pour base de vaines fantaisies vous des conventions momentanées [...]»
Chénier est une manière de centriste, un libéral au sens plein de l'époque. Il estime qu'il est grand temps qu'advienne le règne de la loi, que son application réelle mettra tous les Français d'accord.
André Chénier a certes été guillotiné trois ans plus tard en 1794. Mais son rêve est-il réalisable ? Sommes-nous condamnés à l'hystérisation du débat? Sommes-nous cantonnés à un débat qui semble autant confisqué par les tenants du désordre que par les tenants de l'ordre? (la mode exacerbée de la concurrence victimaire étant la touche de fraîcheur et de nouveauté de notre époque).
Je ne le sais pas. Mais - en me gardant des anachronismes et d'une adhésion partisane à une ligne politique et philosophique qui n'est plus totalement du jour - j'ai envie d'y croire, parce que témoigner c'est faire exister. En cela cet opuscule est encore totalement d'actualité. Il nous situe dans l'épaisseur historique de la construction politique et de la responsabilité de chacun à aider à l'émergence de la concorde civique. le témoignage de Chénier se veut performatif.
Il ne s'agit pas chez Chénier d'un simple glapissement contre les partis, ni d'une incantation clivante à l'unité nationale. Chénier a une pensée politique plus exigeante. C'est finalement quelqu'un d'extrême centre. Des deux bords on l'accuse d'être tiède. Mais il bouillonne. Et il s'engage dans la polémique. Refusant d'émigrer. Il tient sa place dans le rang.
L'ami André, absent actuellement des plateaux des chaînes d'info en continu, ne nous dit cependant pas si d'après son analyse la solution viendra de la Vème République, de la VIème République, ou de Jean d'Orléans et de son jeune fils Gaston.