Deuxième volet de la trilogie du Problème à trois corps,
La forêt sombre n'est pas seulement sombre, elle est aussi bien dense, au moins par le nombre de pages qui la composent : un tiers plus gros, et malheureusement ce morceau-là n'est pas passé aussi bien que le premier.
Cette fois-ci, j'ai pris la précaution de ne pas lire d'emblée le résumé du roman et j'ai bien fait : une fois encore, l'auteur a choisi d'amener lentement son sujet : les fameux « colmateurs » dont parle le quatrième de couverture ne sont introduits qu'à la page 130 (j'ai lu l'édition grand format).
Ce deuxième volet s'inscrit dans la continuité la plus stricte par rapport au premier. On a même droit à un court flash-back très instructif sur les derniers moments de vie de
Mike Evans. Je vous conseille d'y prêter attention ! On a aussi droit à un prologue un peu longuet et spécial dans la forme, sorte de passage de témoin entre la Ye Wenjie du premier tome, et un nouveau personnage qui va devenir central dans ce deuxième tome. Là encore, cela vaut le coup de se concentrer un peu…
Ensuite, on plonge dans la narration, et il y en a pour un moment…
Première constatation, la structure est complètement différente. le premier tome se caractérisait par ses deux trames qu'on suivait à tour de rôle : la trame du passé, prise dans
L Histoire récente de la Chine, et la trame principale du présent. Exit le passé dans ce second tome. La narration devient simplement chronologique, avec toutefois un saut de 200 ans dans le dernier tiers (soit la mi-temps avant l'arrivée attendue des Trisolariens sur Terre).
Autre changement : le découpage en chapitres est devenu quasi inexistant. Dommage car les 640 pages ne m'en ont paru que plus longues.
La longueur, les longueurs... C'est peut-être ce qui m'a le plus dérangé dans ce livre. J'avais déjà perçu cet aspect dans le premier volet, mais là c'est un peu trop ! Non pas qu'il ne se passe pas grand-chose, bien au contraire, mais c'est comme si l'auteur racontait trop, trop de détails qui ne semblent pas absolument nécessaires. Je pense par exemple aux trois vieux dans la première partie. On pense forcément qu'on va les suivre – au moins l'un d'entre eux – dans le suite de l'histoire, vu l'investissement en termes de contenu. Mais non ! On comprend après coup que l'auteur s'en est servi pour rendre le climat sociopolitique. Habile, mais que de pages noircies sans que l'intrigue ne progresse d'un iota.
Quant au style qui m'avait tant séduit, malheureusement je l'ai trouvé un ton en dessous. La fluidité et, grosso modo, la qualité d'écriture sont toujours là, mais je n'ai pas retrouvé la précision dans les scènes et les personnages. Des scènes aussi bien plantées et racontées que celles du billard dans le premier tome (pour ne prendre qu'un exemple), je n'en ai pas trouvé beaucoup ici. Autre signe révélateur : j'ai perdu les pédales dans de nombreux dialogues, m'obligeant à remonter au début pour vérifier qui dit quoi.
Côté personnages, cela m'a aussi paru un peu moins bon. Leur évolution est moins flagrante, voire inexistante. J'ai été ravi de suivre le flic Shi Qiang à nouveau. Mais j'ai eu l'impression que le meilleur était déjà exploité le concernant. Dans la position du personnage principal, le neutre Wang Miao cède la place à l'égoïste Luo Ji. Soit ! On a ici un autre personnage très important, le militaire Chang Weisi, dont la détermination ne faiblira jamais. Sans doute la meilleure trouvaille, même si j'ai eu beaucoup de mal à le cerner.
Passons aux thématiques et aux idées : c'est quand même là qu'on l'attend, le
Liu Cixin !
Je n'ai pas été surpris. Après tout, le thème principal, développé dans le dernier tiers du roman, est annoncé par le titre. Et je dois dire que la démonstration est réussie, et même percutante. Une démonstration peut-être pas économe en moyens, mais elle est claire (au moins à la fin), et brillamment illustrée. Notons au passage que la théorie de la forêt noire reste une théorie, une réponse possible au paradoxe de Fermi parmi d'autres. La force de
Liu Cixin est de vulgariser si bien cette théorie de l'astrobiologie.
Il y a bien sûr beaucoup d'autres idées ingénieuses développées dans ce volet. En particulier, imaginer des Trisolariens (supposément) incapables de mentir. Une particularité qui, peut-être plus que toute autre, les différencie des humains, et qui fonde une bonne partie de l'intrigue de ce roman. L'auteur a travaillé dur pour creuser l'idée, c'est le moins qu'on puisse dire, et le résultat est un régal pour les réflexions ! Au niveau crédibilité par contre, depuis le début je n'arrive pas à évacuer l'idée que les Trisolariens pourraient très bien bluffer depuis le début sur cette question de leur prétendue incapacité à mentir et à déceler le mensonge. Cela me parait basique, mais c'est peut-être parce que, en tant qu'être humain, je suis familier de ce concept !
Les intellectrons sont omniprésents dans ce deuxième tome, et assurent leur double rôle d'espionner et de priver les humains de tout progrès technologique significatif. La nouveauté réside dans la stratégie que vont imaginer les humains pour les contrer. C'est là qu'interviennent les « colmateurs ». Si l'idée est excellente, j'ai été déçu par la réalisation. Sur le choix des colmateurs. le neurobiologiste Hynes, passe encore. Mais Taylor et Diaz, respectivement anciens hommes forts de la politique des Etats-Unis et du Venezuela, je n'ai pas compris l'idée... Quant au quatrième, Luo Ji, on la comprend si on a été attentif dès le début du roman, vu que l'intrigue principale lui est dévolue. En revanche, personne d'autre que lui et nous n'est censé le savoir (lui-même mettra du temps à s'en souvenir), du coup, qu'un comité ait choisi ce scientifique improbable reste un mystère pour moi.
Les « fissureurs » sont une autre trouvaille ingénieuse, et pour une fois l'auteur les a traités de manière économe. Leurs confrontations finales m'ont fait penser aux méchants des vieux James Bond. Un côté théâtral que j'ai apprécié dans des moments où je m'endormais parfois. En revanche, si leurs démonstrations m'ont paru logiques, je regrette que l'auteur ne nous ait pas laissé plus d'indices pour, nous aussi, avoir une petite chance de percer les plans secrets des colmateurs !
J'ai bien aimé l'intrigue au sein de la force militaire spatiale (portée par Wang Miao). J'ai trouvé les scènes d'actions réussies (et particulièrement celle des trois meurtres et sa préparation).
La confrontation de la flotte terrienne avec la sonde Trisolarienne est époustouflante. C'est dommage, l'auteur s'est un peu emballé et l'a fait s'éterniser, un travers que j'avais déjà remarqué dans le premier tome. Sur le plan de la crédibilité, par contre, j'ai vraiment bloqué avec la stratégie humaine. D'ailleurs, Wang Miao fera exactement le même constat que moi. Ou comment mettre tous ses oeufs dans le même panier ! Et puis aussi, cette guerre d'orgueil entre les trois nations spatiales qui les conduit à toutes faire exactement pareil que les autres, c'est un peu limite.
La forêt sombre est un roman long et lent, mais heureusement
Liu Cixin a su distiller des moments forts avec des retournements de situations exceptionnels. J'ai d'ailleurs relevé avec intérêt que les deux personnages principaux, Luo Ji et Wang Miao, chacun dans leur trame respective, sont successivement érigés en sauveurs, puis déchus, puis encore érigés en sauveurs, puis déchus à nouveau, et puis…
Liu Cixin parvient ainsi à faire ressortir le penchant à l'hystérie des masses, de manière brillante. Ce n'est bien entendu pas la seule réflexion sur la société qu'on pourra tirer de ce roman riche d'idée. À cet égard, le dernier tiers du livre, qui confronte deux cultures séparées de deux siècles, est très fourni.
Après cette lecture, je pense cerner un peu mieux ce qui me gêne dans le style de l'auteur. Mon ressenti est une narration froide et uniforme, peut-être un peu plate. Bien que fluide et agréable, elle s'emploie continuellement à décrire avec le même détail et la même distance, aussi bien les évènements que les paysages, les actions que les personnages.
Quoi qu'il en soit, il me faut lire le dernier volet !
Edit:
Si la théorie de
la forêt sombre, telle qu'exposée par le respectable Professeur Luo Ji, vous parait toujours aussi obscure que son objet d'étude, ou si au contraire elle titille vos papille, je vous propose une autre piste : le Dilemne du prisonnier est un problème bien connu en Intelligence Artificielle. "deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l'absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois.". Vous voyez le lien ? le raisonnement est vraiment très proche de celui qu'utilise Ji pour expliquer la thérorie à son copain (il simplifie aussi le problème à 2 adversaires). L'aspect le plus important est "l'absence de communication" (ou, ce qui revient au même, dans le cas de
la forêt sombre, l'incapacité à se forger une idée fiable des intentions de l'autre).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_prisonnier