Je veux dire par là que c'est le texte à traduire qui définit les modalités de sa disparition, lui qui donne le "la de ce glas qui pour lui va sonner : quand bien même on trouverait cette image pompeuse ou tragique, je ne puis effacer de mon esprit cette vision d'un texte au centre d'une arène, un texte qui vous salue avant de mourir. Précisons, afin de ne pas laisser croire à un pathos inévitable, que cette mort se fait, doit se faire dans un grand éclat de rire, tant la langue sait à son tour reconnaître sa vanité, et moquer le fard hilare de sa mort.
Je viens d'écrire "laisse monter la langue française". Et j'avais en tête l'image du lait qui monte dans la casserole, d'une masse blanche et tranquille qui ne comprend rien à ce qui lui arrive et se voit traverser par des bouillonnements qui l'enflent et la rapprochent d'un bord qu'elle ne doit pas outrepasser.
L'ennemi-bâton que brandit Genet sous la vitre de notre nez ressemble moins à ce style qu'il s'agirait de tordre qu'à ce corps indécidable que l'écriture s'efforce, sans mobile apparent, de recommencer, d'inventer. On a beaucoup parlé, à une certaine époque, de la mort de l'auteur, puis, humanisme triomphant et utopie crevante aidant, on a beaucoup décrié ces hâtives funérailles, mais le fait est qu'écrire me semble le plus pitoyable des moyens pour consolider une éventuelle personnalité
Si tel est le cas, regarde-toi au-dessus de l'évier, quand, à trois heures du matin, quelque chose de l'ordre du dégoût te somme de cramponner à deux mains l'émail où s'égalisent toutes tes déjections : sous le néon merdoyant, des parcelles de visagéité s'agitent, sourcils, pommettes, dents, points noirs, possibles souvenirs. C'est toi. Tu es ceci. Ces yeux finis. Ces yeux atteints par rien, et que tout écarquille. La non-reconnaissance de soi.
Parler, écrire, c'est établir les termes possibles ou discutables d'un commerce, quel que soit le gain. Mais le traducteur, aussi doué soit-il, opère d'emblée, ou en tout cas après déchiffrement, un travail de destruction. Il casse sa matière première, en fracture toutes les entrées, tord les clés à chaque tentative renouvelée, et doit forger alors de nouvelles serrures, en vue de potes différentes, menant assurément dans des pièces à da décoration quelque peu chamboulée.
Pourquoi l'échec serait-il forcément négatif. N'y aurait-il pas un peu de plaisir coupable à échouer ? Avec ce nouvel essai, L'échec paru aux éditions Autrement, Claro pose la question de Comment échouer mieux. "Seul l'exercice de l'échec permet d'élargir le champ des possibles. Si, comme le disait Beckett, il importe d'échouer mieux, c'est sans doute parce que créer ne veut pas dire réussir, mais plutôt soutirer à l'obscurité un aveu de lumière. Au risque, consenti, d'aboutir à une impasse – c'est là non une malédiction, mais une chance". Pour ce faire, Claro aborde entre autres Kafka, Pessoa, Cocteau et Hitchcock, des grands noms qui ont un point en commun, celui d'avoir échoué. Avec beaucoup d'humour et une grande sensibilité, l'auteur nous invite à réfléchir et à repenser nos limites ainsi que nos faiblesses et les regarder avec un nouveau prisme pour que ces derniers nous aident à avancer.
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