"J'aime mieux raconter des histoires. J'en raconterai de telles qu'ils reviendront, exprès, pour me tuer , des quatre coins du monde. Alors ce sera fini et je serai bien content"
("Mort à crédit" LF Céline)
Bien qu'ayant beaucoup aimé "Fiat Nox"(anthologie qui réunit vingt ans de nouvelles) et surtout "Apologie de la viande", immense texte traitant de la rupture amoureuse, je n'étais pourtant guère attiré par ce nouveau roman du turbulent Régis Clinquart. le sujet tel que présenté sur le site de l'éditeur, ce titre repoussant et le teaser vidéo d'une laideur et d'une ringardise à toute épreuve ( et de plus complètement à côté de la plaque après lecture du roman selon moi)...tout ça sentait un peu trop la provocation à deux euros. Et l'idée de passer 720 pages dans le cerveau d'un violeur ne me disant pas non plus plus que ça j'avais d'abord décidé de faire l'impasse. Mais, en souvenir des grands moments de lecture dus à l'auteur, je décidais finalement de passer outre et rassemblais mon courage, me réservant le droit d'arrêter ma lecture si jamais elle devenait trop éprouvante. Bien m'en a pris car "Esthétique du viol" est encore du grand Clinquart. le thème du viol est surtout un prétexte pour aborder ses thèmes de prédilection (L'amour, la rupture, les trahisons...et la littérature, beaucoup) d'une façon différente. Discutable bien sûr mais on sait gré à l'auteur de ne pas en avoir (trop) rajouté dans les scènes d'agressions sexuelles (finalement peu nombreuses) qui, pour pénibles qu'elles soient, parviennent à ne pas faire oublier ...tout le reste! Car "Esthétique ..." fourmille surtout de passages drôles, émouvants, furieux, agaçants, dérangeants, mégalos...le style Clinquart est un torrent qui emporte tout et surtout le lecteur. Lettre d'amour à la littérature, roman amer sur les relations-femmes, critique féroce du monde de l'édition ..."Esthétique..." est tout cela et bien plus mais le plus impressionnant est le désespoir absolu qui suinte de ces pages. Clinquart, hypersensible et désillusionné, secoue et bouleverse comme Céline (carrément!)et l'on sort lessivé de ce roman comme d'"Apologie de la viande". Ames et coeurs sensibles...ne surtout pas s'abstenir car la vraie littérature, celle qui palpite, qui remue les tripes et nous fait nous sentir vivants c'est celle ci.
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Il fait partie des gens qui se vantent (au lieu de regretter, ou même de n'avoir aucun avis sur la question) de ne jamais ouvrir un bouquin tout contrairement à vous, et qui vous jugent de haut, comme si le fait que vous vous y adonniez faisait forcément de vous un type très chiant, "prise de tête", ennemi de la bagatelle et de la rigolade, suspect d'arrogance à l'égard des autres, d'eux-mêmes-comme si leur ignorance était un motif de haute lutte contre la tentation de se cultiver, de se "prendre la tête", eux aussi.
Je ne nie pas qu'il y ait une sorte de plaisir canaille à se bannir soi-même, à rejoindre le maquis des malséants, des prends-ça-dans-ta-face plutôt que rester dans les rangs. Mais la sensibilité du lecteur n'est pas une maladie : c'est précisément mon rôle de l'exploiter, si possible de la devancer, de m'en servir comme d'un levier, et non de la ménager.
J'ai une propension certaine à l'expérimentation, et cela depuis tout gamin. Par exemple j'ai gardé le souvenir, vers l'âge de huit ou neuf ans, de m'être entaillé la jambe sur toute la longueur du tibia en cherchant à passer, à la suite d'Alice, de l'autre côté du miroir dans la chambre de mes parents, avec casque, corde, sac de couchage et lampe torche, que je me représentais être la panoplie idéale de l'explorateur.
- Si je violente mon lecteur, c'est pour lui faire sentir que me lire n'est pas un acte gratuit; qu'il ne peut en aucun cas s'agir d'un passe-temps. Qu'il y faut de sa part, aussi, un engagement. Et que me donner à lire m'autorise en retour à fourrager en lui, que j'userai et abuserai à ma guise de ce pouvoir.
- Ils peuvent s'en sentir agressés.
- Ils peuvent aussi lire Anna Gavalda.
"L'aube vint. Dehors, cette lumière vert éteint des matins d'orage, ce gris de marécage. La nuit reploie ses ailes et desserre lentement les doigts. Il a draché des heures durant mais je voudrais que ça continue. Je voudrais que le vent secoue le paysage, torde, étrille arbres et façades, je voudrais un déluge, que le ciel renouvelé brutalise la terre, la soumette rampante aux pieds de son seigneur et maître.
Quand je rouvre les yeux, combien de temps plus tard, le jour est bleu comme fraîchement peint au-dessus des immeubles. Je suis devenu autre chose. Un violeur. Un réprouvé. Et c'est la route, désormais, qui sera fidèle à mon pas."