Je suppose que vous connaissez ce petit frisson, ce grand vide et cette joie profonde bien que frustrante… Terminer un bouquin qui vous a accompagné quelques jours, quelques semaines ou quelques heures parfois.
Voilà, comme souvent, mes sensations du moment.
Un auteur que je ne lisais plus depuis des années,
Jonathan Coe, découvert il y a près de 20 ans avec «
Bienvenue au club » qui racontait les années
Thatcher et leur impact sur la vie de ses personnages, profondément anglais. Ensuite, après avoir rattrapé mon retard, car « le club… » n'était pas son premier roman et surtout après «
le cercle fermé » je l'avais un peu oublié. J'avais tenté de reprendre la lecture mais la magie n'opérait plus. Je ne crois pas que ce soit lié à l'écriture de Coe, mais plutôt au lecteur que je suis qui était peut-être devenu étranger à sa sensibilité.
Une interview de Jonathan dans « Télérama » m'a redonné l'envie de le lire.
Bref, passons au sujet de ce post…
Je viens de renouer avec Jonathan avec la lecture de «
le royaume désuni ».
J'aime beaucoup la simplicité, la limpidité de son écriture, simple pour le lecteur mais je suppose que cela demande beaucoup de travail à l'auteur.
Ce roman fait de flashbacks et de rebondissements, de moments qui marquent une famille ou la vie d'un pays.
Je me suis attaché à cette famille anglaise dont nous suivons les différentes générations entre 1945 et 2020.
Entre deux moments forts de l'Histoire anglaise, de l'Histoire mondiale même, puisque l'histoire commence le 8 mai 1945 pour se terminer avec la crise du COVID en 2020.
« Plus ça change, moins ça change… »
L'Angleterre éternelle et les secousses de l'Histoire, des traditions misent à mal d'autres auxquelles les anglais se rattachent et défendent bec et ongles. La royauté, le sentiment de singularité, la CEE et le retour à la fameuse définition « l'Angleterre est une île… »
Seul un anglais sait décrire la mentalité anglaise, la particularité anglaise…
Je ne vais pas raconter l'histoire de la famille Clarke, mais plutôt le passage de l'Histoire dans l'âme d'un anglais, avec deux extraits :
Alors que famille et voisins s'entassent dans le salon devant la télévision naissante pour assister au couronnement de la Reine Elizabeth II
« Tout comme eux, il (Geoffrey) était pris dans la tension dramatique de l'instant, cependant son attention ne se portait pas uniquement sur les images à l'écran, mais aussi sur l'effet qu'elles produisaient sur les spectateurs. Pour lui, le moment où la couronne fut placée sur la tête de la nouvelle monarque représenta une apothéose, une libération. Comme tous les autres, même avec l'aide de commentaire télévisé, il n'avait pas vraiment saisi ces dernières étapes de la messe, mais pour lui, elles dégageaient néanmoins un certain sens de la bienséance qui était en fait renforcé, et non sapé, par leur caractère mystérieux. Geoffrey n'avait pas apprécié le climat des toutes premières années d'après-guerre : des forces dangereuses – le rationalisme, l'intégration, l'égalitarisme – semblaient avoir été libérées par la guerre et menaçaient d'ébranler les fondements de l'ordre ancien. Mais ce jour-là, cette cérémonie indigeste, ésotérique et incompréhensible lui faisait l'effet d'une bouffée d'air rance, qui ramenait l'assistance à un monde passé, plus solide, un monde qui ne reposait pas sur de douteuses valeurs humaines, mais était entièrement fait d'éblouissantes abstractions et de hiérarchies occultes. Juste devant ses yeux, la reine elle-même, cette femme passive et insondable de 27 ans qui était au centre du rituel, avait cessé d'être un être humain au véritable sens du terme pour devenir un pur symbole. Et c'était juste. C'était sa destinée.
Regardez donc, se dit Geoffrey, comme chacun ici est subjugué par la solennité de cet instant, et accepte sa vérité, son caractère inéluctable. Même (jetant un coup d'oeil à Doll au moment où il se faisait cette réflexion) même les socialistes ! Les vieilles habitudes ont encore gagné. La tradition a encore gagné. Et ce sera toujours ainsi. L'Angleterre ne change pas. »
Nous sommes dans la ville, Birmingham, où Cadbury fabriquait le chocolat bien connu. Certains se rappelleront sans doute de ce que l'on a appelé « la guerre du chocolat » à Bruxelles où la commission européenne souhaitait codifier ce que l'on doit appeler « chocolat » et qui, de fait, excluait le chocolat fabriqué par Cadbury, véritablement vénéré outre-Manche…
- « de nos jours (…) on n'a pas le droit de vendre du chocolat en Europe
- Pas le droit ? Qui a dit çà ?
- La CEE. On ne met pas assez de beurre de cacao, apparemment on utilise trop de matières grasses végétales.
- Pas croyable fit Jack. Ça doit être ces enfoirés de français, je parie. Ou les allemands (…)
- C'est à Franck qu'il aurait fallu demander ça, dit son grand-père. M'est avis que ça remonte à la guerre, cela dit.
- La plupart des choses remontent à la guerre, intervint Jack
- Comment çà, demanda Martin
- Eh bien, c'était pas facile de s'approvisionner en beurre de cacao à l'époque, tu vois. On en manquait. Alors ils ont changé la recette des barres Dairy Milk. le « chocolat de rationnement », ils appelaient ça. Moins de cacao plus de gras.
- Et ils sont revenus à l'ancienne recette quand le rationnement a cessé ?
- Bon, je ne suis pas sûr qu'ils l'aient vraiment fait. Les gens s'étaient habitués à ce stade. Ils s'étaient mis aimer. le goût leur rappelait un peu la guerre j'imagine.
- Mais pourquoi les gens voudraient se rappeler la guerre ?
- Parce qu'à l'époque, l'Angleterre était puissante, répondis Jack. »