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Critique de HordeDuContrevent


Pour découvrir cette auteure, Sandrine Collette, dont je vois souvent passer les livres sur Babelio, avec le plus souvent des avis très positifs (je pense notamment à la critique de Sandrine pour « Juste après la vague » ou encore celle de Céline pour « Six fourmis blanches »), j'ai choisi ce roman « Et toujours les forêts », tout simplement car il s'agit d'un récit post-apocalyptique. Et j'aime profondément ce genre littéraire.

Chaque livre dit post-apocalyptique comporte sa singularité, son ambiance, sa touche personnelle. Certains s'engagent dans la voie de l'exploration spatiale (pour les plus récents, entre autres, Cantique pour les étoiles de Simon Jimenez, le roman de Jeanne de Lidia Yuknavitch ; mais nous pourrions même citer les grands romans de la SF plus classiques, tel que Fondations d'Asimov, dans lesquels la Terre n'est plus et son peuplement plus qu'un lointain souvenir), tandis que d'autres livres, plus réalistes peut-être, nous montrent à voir la vie sur Terre après la catastrophe que cette dernière soit nucléaire, écologique, épidémique. « Et toujours les forêts » se situe dans cette deuxième mouvance et n'est pas sans rappeler fortement Malevil de Robert Merle, le mur invisible de Marlène Haushofer, la Constellation du chien de Peter Heller, Dans la forêt de Jean Hegland, et la Route de Cormac McCarthy. Comme dans Malevil, la catastrophe est un feu (nucléaire sans doute mais rien n'est indiqué) qui a tout dévasté, seules les personnes se trouvant par chance sous terre, dans les caves, dans les sous-terrains à ce moment-là, ont pu survivre. Comme dans le mur invisible la solitude est terrible et les conditions de survie revenues à l'âge médiéval. Nous retrouvons la présence salvatrice d'un chien qui m'avait émue aux larmes dans La constellation du chien. La forêt comme refuge, berceau et possibilité d'enracinement comme dans le beau Dans la forêt. Et enfin, même si c'est le seul que je n'ai pas lu, le roman est sombre, d'une noirceur extrême, et les êtres humains aussi sauvages que des bêtes, comme apparemment dans La route.

Entrelacement de plusieurs références, et non des moindres, Sandrine Colette n'a pas à rougir de s'être essayée à ce genre, son livre est un grand livre, un véritable coup de coeur pour ma part. Et qui a sa touche personnelle, qui apporte sa pierre au foisonnant édifice de ce genre littéraire. D'un réalisme à couper le souffle. D'une beauté noire poignante. D'un pessimisme absolu heureusement teinté d'un espoir grandissant. Et quelle plume, âpre, fluide, touchante ! J'ai fini le livre bouleversée même si le noir, le gris au mieux, les couleurs du livre, ont quelque peu déteint sur mon humeur tant j'étais dans l'histoire.

« Les vieilles l'avaient dit, elles qui voyaient tout : une vie qui commençait comme ça, ça ne pouvait rien donner de bon. Les vieilles ignoraient alors à quel point elles avaient raison, et ce que cette petite existence qui s'était mise à pousser là où on n'en voulait pas connaîtrait de malheur et de désastre ».

Dès le début le roman nous happe tant l'enfance de Corentin est glaçante, terrible, comme placée sous le sceau de la malédiction. Survient la Catastrophe lorsque, jeune homme, il fait la fête dans les catacombes parisiennes. Un brasier qui a tout dévasté, rendu le monde totalement stérile, sans plus aucune couleur, sans plante, sans animaux, sans soleil, sans bruit. Corentin a survécu. Leurs fêtes alcoolisées souterraine l'éloignant du monde l'avaient sauvé, ce monde qu'il ne voulait pas n'imaginant pas un instant que ce serait lui, le monde, qui ne voudrait plus des hommes.

Il y avait bien eu des alertes, des signes avant-coureurs que personnes ne prenaient vraiment aux sérieux, surtout en ville, peut-être faisait-il juste plus chaud chaque année, les saisons étaient déréglées, les températures montaient, les insectes écrasés sur les pare-brise étaient devenus que des souvenirs.

« Mais ça ne se voyait pas que la nature crevait, dans la ville. Ça ne faisait rien au macadam, rien aux réverbères. Ça ne changeait pas le chant des étudiants, ça ne changeait pas le bruit des klaxons. Ça n'atténuait pas les rires ni les cris, le grincement des portes qui s'ouvraient et celles qui se fermaient, pas le ronronnement du métro, pas les sonneries des portables. Ça ne modifiait pas la couleur du ciel – parce que personne ne le regardait. Il y avait trop de lumière devant. Des lueurs artificielles. Qu'on éteigne, suppliait parfois Corentin en silence. le monde comme une ampoule. le monde comme une fête, et il était bientôt minuit ».

L'histoire est ensuite celle de l'errance de Corentin après l'Apocalypse, de la vision de quelques survivants entrecroisés, devenus des êtres sauvages, de celle bien plus fréquente des morts, grillés sur place que l'on ne regarde plus tant cela devient habituel, de l'odeur pestilentielle omniprésente, de son retour aux Forêts, là où habite le seul être qui l'ait vraiment aimé, son arrière-grand-mère de près de 100 ans, des essais pour survivre, des années qui passent, des minces espoirs quand la nature essaie de percer de nouveau, des immenses espoirs placés en sa progéniture. Oui ses enfants aux noms d'étoiles. Je n'en dis pas plus, c'est somptueux…et tout au long de ce roman le gris, uniquement le gris, avec seulement parfois une couleur vive, le rouge, celle du sang.

« La seule couleur était celle du sang. Corentin s'en aperçut en s'écorchant la main à un morceau de bois, un soir qu'il faisait du feu. Cela roula sur sa paume. Cela coula sur ses doigts. Dans son esprit chaviré, cela prit des teintes d'automne flamboyantes, des lueurs de rubis, des incandescences d'un vermillon inouï. Cela refléta le soleil disparu. Il fut émerveillé ».

Certaines scènes me resteront longtemps en tête. Prenez celle, hallucinante, de ce rebut de voiture qui fonctionne encore, pneus et tableaux de bord fondus, la voilà à rouler doucement sur l'autoroute devenue bouillie de goudron, à rouler sur ses jantes…je ne sais pas pourquoi m'est venue alors une image, celle du tricycle rouge sur l'autoroute dans Bruit de fond, cette oeuvre de Don de Lillo qui montre du doigt l'absurdité de notre société de consommation et des enfants rois…l'avant et l'après, en signes ténus. Sortes de clins d'oeil. Lorsque les livres se parlent, s'interpellent, et nous lecteurs de frissonner…

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