Manuel Vincent eut le grand malheur de devoir prendre un métier pour lequel il n’avait aucune vocation. Son père, étant horloger, fit de l’enfant un horloger, suivant la tradition de ces localités du Jura suisse et français que l’industrie de la montre et de la pendule a rendues florissantes. Là, au grand dommage des individualités, chacun entre dans la même filière et s’y la-mine selon le type convenu ; le même engrenage, où le père a tourné toute sa vie, saisit le fils bon gré mal gré et le fait tourner à son tour dans le cercle de la coutume. Cette continuité a du bon : l’habileté de la main et certaines aptitudes spéciales se transmettent de père en fils comme un héritage, mais les vocations individuelles sont étouffées par la routine et bien des existences s’en trouvent douloureusement déviées et rabougries.
— À quoi ça sert-il, ce travail de bourrique ? s’écria-t-il une fois en frappant du pied avec colère.
— À gagner ta vie plus tard, mauvais garnement, répondit son père.
Gagner sa vie ! mais il l’aurait gagnée plus agréablement comme portefaix, comme cantonnier, à casser des pierres au bord de la route. Quelques jours après, son burin maladroit lui fit sauter dans l’œil une paille de laiton qui se logea sous la paupière, l’enflamma et dut finalement être extraite par le docteur. « C’est le métier qui entre », répéta son père,
elle le regardait avec de grands yeux sans larmes, qui contemplaient pour la première fois le redoutable mystère de la mort, et essayaient de le sonder. Il était là, dans toute sa force et dans toute sa jeunesse, semblait-il ; seule, cette terrible pâleur révélait que sa jeunesse et sa force étaient coupées à leur racine.
Pourquoi faut-il que les inutiles restent et que les forts s’en aillent ?…
« Les voilà chauffés à blanc ! pensait Constant Loison. La musique de cette fillette vaut mieux que du champagne ; ça leur monte la tête sans leur casser les jambes… »