Moi, si je voulais, je ferais cent parties de campagne ou de bateau… Tenez, vous venez d’avoir un petit mouvement de lèvres, un petit sourire… C’était en bateau, oui ? Eh bien ! moi, je me tirerais d’une douzaine de bateaux sans une égratignure. Mais je suis sérieuse ; je penserai au mariage sérieux quand j’aurai mon Institut de Beauté et ma clientèle… Dans deux ans peut-être. Le Beau ténébreux serait un excellent mari-comptable…
– Vous êtes inouïe ! s’exclama Thérèse. Je ne croyais pas qu’on pût organiser sa vie comme cela, dans ces lignes… à l’avance.
– Je suis positive, c’est certain, je suis Française. Pas du tout la Française des romans ; mais la vraie, celle qui mène les affaires de la famille française. Écoutez, ma bonne Lemaire, permettez-moi un conseil. Même une question. Qui est le jeune homme ?
– Il est journaliste, répondit Thérèse, contente de pouvoir s’ouvrir un peu. Il est bien élevé. Il a ramé aux régates d’Oxford.
– Oh ! là là ! très mauvais, ça. C’est un swell qui n’épousera pas. Un simple calicot vaudrait mieux.
– Il n’est pas question d’épouser, murmura Thérèse.
Elle donna deux ou trois leçons par semaine à Sôphy et découvrit que l’ignorance linguistique de son élève était un abîme sans fond. Les traductions étaient faites à coups de dictionnaire, et le plus souvent au petit bonheur des ressemblances. Ainsi « taille » était traduit par tail, qui signifie queue ; cask, qui est un tonneau, devenait un casque français et réciproquement. Sôphy s’aventurait même dans la conversation ; elle disait : « Je suis faim, je suis soif ! » et pour : « J’ai tort » elle éjaculait : « Je suis tord » ou même : « Je suis tordue… »
Il est impossible de fâcher un Anglais en essayant de lui contester sa supériorité universelle ; autant essayer de fâcher le soleil en lui trouvant à redire…