Aimée va se marier à Candre, un riche propriétaire sylvestre, sobre et pieux. Ce mariage représente à la fois une ascension sociale, et un arrachement aux terres de l'enfance, un passage à l'âge adulte. Elle rejoint la propriété familiale qui jouxte l'exploitation, sur laquelle ne vivaient jusque-là que Candre, la fidèle domestique / maîtresse des lieux Henria, et l'énigmatique et silencieux Angelin.
Seule en sa demeure est un huis-clos au coeur de la forêt, qui fait planer sur laquelle planent mystères et secrets.
Comment Angelin a-t-il perdu la langue ? Comment Aleth, la première femme de Candre, a-t-elle succombé à son rhume de poitrine seulement quelques semaines après leurs noces ?
La forêt/le paysage est un personnage à part entière, et ambigu : tantôt il est enveloppant, tantôt il inquiète. La forêt ajoute au mystère, et (comme Candre, comme Henria) parfois elle fait naître le malaise, parfois elle apaise. La perception d'Aimée, aiguisée par son isolement, rythme la lecture : la narration, si elle est à la troisième personne, est un point de vue interne, et les doutes d'Aimée deviennent les nôtres.
Les forces du roman tiennent à la peinture des personnages, qui sont sensibles, complexes. Même si l'opposition piété / péché est centrale dans leurs motivations, on évite le manichéisme facile, et tous les échanges sont nuancés. J'ai le sentiment que
Cécile Coulon joue avec nos automatismes (quand on a beaucoup lu / beaucoup consommé de films et de séries), ce qu'on croit deviner des personnages au premier abord mais aussi du cours de la fiction : les hypothèses que l'on peut formuler, inquiétés par les angoisses d'Aimée, sont rapidement écartées. Comme
Une bête au Paradis m'avait rappelé
La vie tranquille (mon ultime roman préféré de
Marguerite Duras - l'écriture de l'attachement viscéral à la terre, la prouesse de décrire l'incommunicabilité des sentiments des personnages taiseux : c'est ma came), j'ai vu l'adaptation de Jane Eyre deux jours après avoir fini
Seule en sa demeure et dans mes souvenirs, les ambiances et les enjeux se superposent, se télescopent. On sent arriver le retournement de situation, et pourtant son objet surprend –
comme le dénouement, qui fait un pas de côté et manque la résolution cathartique.