Si vous feuilletez ce Crapouillot de 1959 vous y découvrirez au travers d'articles très élaborés des informations insolites sur les personnalités du moment : Que le cinéaste Édouard Molinaro se nommait en réalité Edwardo, que
Roger Nimier donne un article tous les ans à l'hebdomadaire royaliste de
Pierre Boutang : la Nation Française, que
Benjamin Péret lors de la Première Guerre mondiale fut évacué de Salonique pour paludisme et dysenterie amibienne, que malgré le soutien d'André Billy Roger Peyrefitte rata le prix
Goncourt de 1945, qu'
André Pieyre de Mandiargues aime les vins de Bordeaux vieux et légers (St-Julien, St-Estèphe, en particulier le Cos d'Estournel), que le peintre abstrait
Serge Poliakoff gagna longtemps sa vie en jouant de la guitare dans les boîtes de nuit russes, que le chroniqueur judiciaire
Frédéric Pottecher débuta comme figurant, puis assureur, essayeur chez Talbot, vendeur de journaux, qu'Henri Quefféllec était pupille de la nation (son père, officier d'artillerie, ayant été tué à Verdun en 1916), qu'il a fait une partie de ses études à Louis-Le-Grand, qu'il fut professeur durant une année au lycée de Mont-de-Marsan, que
Christine Denis de Rivoyre est une célibataire endurcie, qu'
Alain Robbe-Grillet est marié à Catherine Rstakian, que Madeleine Robinson à un père Tchécoslovaque, que Noël Roquevert a épousé la fille d'un colonel, que
Françoise Sagan a un père industriel (usine de 800 ouvriers à Argenteuil), tape ses romans à la machine en fumant des gauloises (jours pairs), des chesterfields (jours impairs), qu'après deux Jaguar, une Gordini, une Buick (accidentée), une Aston-Martin (accidentée) elle conduit une Lancia-Aurélia, que la résidence d'été de Michel de Saint-Pierre est le château
De Saint-Pierre par Beuzeville dans l'Eure, que le violon d'Ingres de
Michel Serrault c'est la trompette et qu'il roule en Chevrollet Bel Air alors que
Jean Poiret se contente d'une 403 Peugeot, qu'
Albert Simonin fut chauffeur de taxi la nuit et
Siné chanteur dans le groupe " Les garçons de la rue ", que
Jean Tardieu est le petit-fils du compositeur et chef d'orchestre Alexandre Luigini, que Jacques Tati joua au rugby en première division au Racing, que
Thyde Monnier est parente d'Élémir Bourges, que
Maurice Toesca fut intendant de police à la Tour Pointue sous l'occupation; romancier après, que
Roger Vadim roule en Ferrari 3 L, que
Roger Vaillant fit ses études à Reims avec
René Daumal et René Gilbert-Lecomte puis élève de Normale supérieure avec
Robert Brasillach,
Maurice Bardèche et
Thierry-Maulnier, qu'
Alexandre Vialatte a écrit trois romans en 23 ans alors que Marguerite Monnot était pianiste-concertiste à trois ans et demi.
Il est aussi question de quelques hommes politiques dont je me garderai bien de parler de peur de ternir ma critique.
Il est d'ailleurs impossible de parler de tous les sujets qu'aborde ce numéro. Je me suis contenté de faire un florilège en pensant un peu à
Georges Perec ou
Jacques Prévert. Une sorte d'inventaire.
Avec ce dictionnaire des contemporains le lecteur prend conscience qu'il suffit de laisser passer une cinquantaine d'années pour s'apercevoir qu'une bonne moitié des noms (je n'ai parlé que de ceux qui me sont familiers) cités dans cette revue sont devenue totalement inconnues. Combien seront-ils dans cent ans ? Cela relativise grandement le succès que rencontrent aujourd'hui certains auteurs. D'ailleurs faudra-t-il cinquante années pour les oublier ?
Ce Crapouillot qui s'affiche non conformiste est une source non négligeable d'informations, certes parfois anecdotiques, très utiles pour connaitre les hommes et les femmes mais aussi sentir l'air du temps de ces années cinquante.