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3,46

sur 450 notes
Je gardais de Maurice G. Dantec le souvenir d'un de ses passages dans l'émission du samedi soir d'Ardisson en 2005 , un petit peu bizarre, un petit côté sulfureux, comme Ardisson adore les invités, pour faire le buzz.

En cherchant un livre avec Babylone dans le titre que je n'ai pas retrouvé, je suis tombé sur le Babylon babies de Dantec. Les livres prennent parfois des chemins tortueux pour arriver à nous, mais, en reliant mon souvenir et ma recherche infructueuse, je me suis dit que la sérendipité avait peut-être fait son ouvrage (oui j'ai des actions chez Larousse, faut que je les fasse bosser).

Malheureusement, le résultat n'a pas été celui escompté. Sans me considérer comme un spécialiste de science-fiction, je connais certains classiques (Asimov, Wells, Huxley, Barjavel) et je sais bien que les auteurs s'arrangent toujours pour rendre le côté scientifique suffisamment sérieux et obscur pour que l'étiquette science ne soit pas usurpée. Et c'est le cas ici, avec des développements parfois ardus sur le cerveau ou les techniques de hacking informatique. Mais quand vous cumulez cette complexité avec un contexte géopolitique complexe, un style parfois ampoulé notamment quand on passe un certains temps à l'évocation de la couleur précise des ciels et des conditions météorologiques (sujets qui semblent des obsessions de l'auteur...), on a du mal à accrocher.

Et pourtant l'intrigue ne manque pas d'intérêt. le livre date de 1999... et le futur est celui de 2014. Cette proximité d'avenir qui est pour nous devenu du passé est vraiment intéressante, notamment concernant les questions politiques. Mais les différentes strates de complexité évoquées précédemment ne peuvent que noyer et diluer l'intérêt parfois entretenu.

De même, j'ai plutôt tendance à apprécier quand la narration se joue de la chronologie et nous perd dans certains retours vers le passé ou des sauts en avant... Mais vous imaginez ce que ça peut donner avec ce genre d'histoires... On a parfois à peine le temps de s'installer dans des moments d'actions plutôt bien brossés... qu'on se retrouve avec une nature morte de ciel canadien, enchainé avec un retour en arrière vers le contexte sibéro-chinois, pour aboutir à une digression sur le parallèle entre système nerveux et réseau de télcommunications... Venez me chercher, je crois que je suis coincé dans l'hyperespace.

J'ai cru comprendre que ce livre prenait place dans une série de livres, même s'il peut parfaitement se lire seul (si, si, on dirait pas en lisant ma critique, mais si, si...). Et apparemment, en lisant certains avis, Dantec aurait réussi à simplifier ici son style... Ayant parfois quelques côtés masochistolittéraires (j'ai quand même lu l'Ulysse de Joyce, j'ai du niveau !), je me laisserais donc peut-être tenter par le tome précédent... pas tout de suite, il faudra d'abord que je retrouve mes esprits avec quelques lectures moins nébuleuses (damned, je suis contagié par l'obsession du ciel).

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Toorop, un mercenaire des temps modernes qui a participé à tous les conflits des dernières décennies, est chargé par la mafia sibérienne de transporter un « colis » à Montréal. le colis en question étant une jeune femme, Marie, qui transporte quelque chose d'extrêmement important aux yeux des clients, et qui, accessoirement, est schizophrène.

De tout le roman, le point le plus réussi est l'ambiance cyberpunk créée par l'auteur : l'intrigue se déroule dans un futur pas très lointain, les organes limités sont remplacés par des gadgets électroniques, les intelligences artificielles rivalisent avec l'intelligence humaine, les pirates informatiques sont devenus les réels maîtres du monde. Ajoutons à cela des sectes millénaristes, des conflits larvés aux frontières, et des mafias qui prennent lentement le dessus sur les états...

Question intrigue, par contre, rien de très original, on est très proche des thrillers actuels qui font la joie des cinémas : une gueule cassée part pour une mission banale, puis se retrouve aux prises avec un complot mondial qu'il devra démanteler. le final mêle chamanisme, transes et télépathie, et m'a paru assez indigeste.

L'auteur me paraît intéressant, mais j'imagine que je ne tiens pas dans les mains son meilleur roman.
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Maurice Dantec se dissimule sous le prétexte d'un techno-thriller aux enjeux géopolitiques pour nous préparer à accepter son fantasme science-fictionnel - mais n'est-ce vraiment que le sien et non celui assez propre aux sociétés hantées par le surmoi maternel ? le style baroque et enfiévré, humide et chaud, ne suffit cependant pas à me convaincre que Big Mother en flux libres pourrait devenir ma délectation. Les fantasmes de Dantec sont tout simplement mes cauchemars. Rêves d'intelligences artificielles incarnées, féminines, maternantes, baisantes, aux identités infinies connectées au cloud universel du « Serpent cosmique » d'après les spéculations pseudochamaniques de Jérémy Narby. Gilles Deleuze surplombe également le roman avec sa thèse selon laquelle « le schizophrène se tient à la limite du capitalisme : il en est la tendance développée, le surproduit, le prolétaire et l'ange exterminateur ». Rêverie romantique s'il en est, et passablement peu éthique dans l'instrumentalisation ainsi opérée d'une forme de structure incorporée du langage qui ne relève pas de la décision volontariste militante.

Technolâtrie, culte de la femme et réalisation de l'harmonie cosmique : Maurice Dantec semble rêver à l'avènement de la « Maman-machine ». Big mother is loving you et veut que tu jouisses par tous les trous de cette immaculée vierge qu'est la machine aux infinis megabits. Maurice Dantec part en couilles : « Marie est schizo, monsieur Toorop. C'est une chaman du XXIe siècle, si vous préférez. » Par la sélection opérée du truchement de la technologie et de la schizophrénie, une nouvelle humanité, évidemment meilleure (et sans doute non patriarcale, opérant ainsi la congruence du progressisme féminolâtre au réactionnarisme pré-oedipien) pourrait venir remplacer l'ancienne dans un holocauste définitif. « Que vous le vouliez ou non, Marie Zorn est le futur de l'humanité ». La régénération par la femme totale. Tous pompés par la grande couveuse dans la régression infinie vers le placenta collectivement nourricier. « Ceux […] qui sont capables d'accepter le contact avec le Serpent Cosmique, d'accepter leur état multi-identitaire et la nature du cerveau humain, ceux-là ont d'après elle une chance de passer au travers des mailles du filet, du réseau que les jumelles, et leurs descendants, vont tisser entre eux, et toutes choses dans l'univers… »

L'attirance de Dantec pour le point Oméga le dessert, quand bien même ses déclarations sur le monde, ici et ailleurs, purent être assez sensées en leur temps. Je le préfère anti-fictionnel, si c'était possible.
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RELECTURE
il est touffu ce bouquin de Dantec.
Compliqué aussi. Alors que ses mots sont brillants et scintillent comme une douce mélodie.
Et pourtant le livre est rude. Pas de place pour le sentimentalisme. Pas le genre de Toorop son héros de "La Sirène Rouge" ou de Darquandier, un des personnages principaux des "Racines du Mal", son chef-d'oeuvre absolu.
Les enjeux sont dilués par une réflexion post-moderne un peu confuse si l'on ne se concentre pas un peu. Beaucoup de remplissage au détriment de l'avancée de l'intrigue qui prend finalement peu de places dans les 550 pages proposées.
Dommage, car l'histoire quand Dantec se concentre dessus est captivante et demanderait un peu plus de développement voire d'éclaircissement. du rebondissement et de l'action quoi !
Et d'après ce que j'ai lu des suivants, cette manie ne va pas aller en s'arrangeant pour tous ses bouquins post 11/09/01 où sa paranoïa et son mysticisme vont s'aggraver. Pas le premier auteur à péter les plombs cependant, Maupassant, Robert E. Howard, Poe et Lovecraft n'ont pas très bien finis non plus. 3/5
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Oui, j'étais passé à côté. Quelle erreur. Enfin rattrapée pendant les vacances. Ouf. Ce roman de 1999 est très très très en avance sur son temps. Résumé euh franchement non. C'est un roman total et totalement maîtrisé sur tous les points. La SF déjantée, la schizo permanente, les services secrets, la machination... On s'y perd ? Oui un peu entre le réel, le virtuel, le présent, le passé, le fantasmé, le rêvé, mais l'auteur (un génie) a la brillante idée de mettre en place un système gigogne de commanditaires qui ne cessent de poser des questions au pauvre mercenaire qui est censé piger queue dalle mais qui en fait en sait plus que tout le monde dans le fond. Ces dialogues amènent une théâtralité, une légèreté et un humour qui permettent de "recadrer" le propos sans s'y perdre. En post covid 19 franchement, s'il avait su. Un très bon livre !
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Complètement fou. Une ambition folle. Celles et ceux qui vous diront qu'il est difficile de suivre vous priveront d'un grand moment.
A l'époque, ce roman a changé énormément de chose dans ma vision géopolitique du monde.
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J'ai lu ce roman l'été dernier, avec plein d'attentes, comme beaucoup de gens après les claques inoubliables que sont La Sirène rouge et Les Racines du mal. J'étais ouvert au passage SF de Dantec, et j'ai de l'affection pour l'individu qui est plus souvent victime du protocole télévisuel (où il faut surveiller ce qu'on dit, sortir des banalités, faire de la lèche, parler des livres en surface, ne retenir que trois phrases pseudo-chocs sur l'ensemble d'une oeuvre, se faire traiter de polémiquard alors que les ainés et influences respectées comme K. Dick et Céline avaient des vues toutes aussi particulières, mais sont désormais vénérés...) Et je fais même un mémoire, entre autres, sur Les Racines du mal!

Étant donnés la trajectoire vers le Canada, et le goût pour le roadtrip de Dantec, je m'attendais, en lisant la quatrième de couverture, à une sorte d'errance vers la terre promise, intimiste, entre Toorop et Marie Zorn... C'était tout sauf ça. Ça m'a à la fois rebuté et fasciné. Ces personnages de chefs de guerre, qui spéculent sur les conflits, étaient terrifiants, le sujet ne m'intéressait pas, et pourtant, la perspective, et la façon dont l'auteur les révélait étaient effrayantes, j'étais happé, mais pas passionné. le propos sur l'homo sapiens neuromatrix n'était pas non plus génial ou crédible, mais j'ai surtout retenu l'ambiance de ce bloc noir au milieu du Canada, refuge autotellique, utopique, paradisiaque (mais temporaire) des penseurs/pionniers, amorce de ce que sera Satellite Sisters où cet éloge de la recherche de l'évolution permanente est scandé.

Babylon Babies est très bien écrit, avec un style à la fois chargé et harmonieux, ce qui n'est pas forcément le cas de sa suite. le seul problème, c'est que malgré le caractère percutant de tout ce à quoi on assiste (et on s'en souvient bien, mention spéciale aux crises de schizophrénie de Marie et celle qu'elle provoque à Toorop) le sujet nous intéresse moins... Babylon Babies et Satellite Sisters ont pour moi la même note, mais je préfère nettement le style littéraire du premier, et l'histoire du deuxième.

Très agréable de retrouver Joe-Jane aussi, avec les discrètes allusions qu'il descend de Schaltzmann.
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Dès que l’on ouvre ce troisième roman, force est de noter que l’auteur n’a pas renoncé à sa détestable habitude d’étaler ses références bibliographiques (voir Les racines du Mal). Au moins cette fois nous en épargne-t-il la liste détaillée pour nous asséner, suprême habileté, de longs remerciements adressés à de nombreuses personnalités du monde littéraire et philosophique tels P. K. Dick et P. Deleuze.

Pourtant, malgré ce prélude calamiteux, il est incontestable que Dantec a gagné en expérience et en professionnalisme (à moins que l’éditeur ne se soit enfin décidé à faire son travail de correcteur). Le style, mieux maîtrisé, si l’on excepte quelques passages enflés dont l’auteur s’est fait une spécialité, s’en trouve nettement amélioré.

Nous renouons dans cette troisième œuvre avec le personnage de Hugo Toorop, le héros de La Sirène rouge. Bien du temps a passé : l’homme d’action idéaliste, fringant et sûr de lui, n’est plus qu’un mercenaire fatigué qui s’accroche encore, sans grand espoir, à son système de valeurs. Finies les puissantes voitures qui vous permettaient de filer entre les doigts de l’adversaire, finies les cartes de crédit illimité généreusement distribuées par une énigmatique brigade internationale : Toorop, meurtri, ne peut plus compter que sur lui-même et pour survivre, il dépouille les ennemis qu’il vient d’abattre. Cette dégringolade sociale et morale, voire idéologique, nous rend le personnage plus proche, plus humain, moins sentencieux et en somme plus sympathique. L’effet « looser » reste un bon ingrédient littéraire.

Autre belle réussite du roman : la toile de fond politique et sociale dans un monde postmoderne. Guerre civile en Chine, magouilles en tous genres, sectes et apprentis sorciers, ignobles tractations orchestrées par la mafia se mêlent pour composer un décor aux sordides imbrications, vraisemblable, cohérent, angoissant, à la mesure de l’amertume du personnage principal.

L’intérêt du récit tient également à sa remarquable galerie de personnages secondaires. Du colonel russe corrompu qui use de ses pouvoirs pour soutenir les trafics les plus illicites, au mafieux sibérien qui commandite les plus sombres machinations, en passant par les hommes et femmes de main de tout bord dont les alliances précaires ne cessent de se faire et de se défaire, c’est tout une faune hétéroclite, lamentable, désespérément humaine que l’auteur anime avec brio en l’insérant parfaitement dans le décor grâce à quelques procédés efficaces déjà utilisés dès La Sirène Rouge.

On distingue, en gros, deux parties dans le roman.

La première peut être assimilée à une longue scène d’exposition chargée de promesses d’orages. Marie Zorn, une jeune femme au passé trouble, doit être convoyée au Canada sous haute protection. Pourquoi ? Cela, même le colonel russe qui coordonne l’opération l’ignore. La mafia paye bien, trop bien même, et elle ne tolère aucune question. Toorop accepte la mission avec deux autres mercenaires (un tueur orangiste et une ancienne de Tsahal) placés sous ses ordres. Armés jusqu’aux dents, ils se claquemurent avec leur protégée dans un appartement de Montréal. Le jeu est risqué : la mafia surveille l’opération, le colonel cherche à doubler son « allié » mafieux avec la complicité de Toorop, et d’autres forces que l’on devine tout aussi redoutables œuvrent en coulisse. La mission qui dérape rapidement hors du schéma prévu peut être interrompue d’un moment à l’autre et, dans ce cas, Marie Zorn devra être exécutée. Des affrontements sanglants se dessinent et le lecteur se surprend à imaginer les déchaînements à venir. Malgré quelques longueurs et incohérences psychologiques, cette mise en place sur l’échiquier est un succès.

La deuxième partie est malheureusement beaucoup moins brillante. Renonçant à exploiter ses effets d’annonce (affrontements pressentis entre la mafia, les Russes et l’équipe de Toorop), l’auteur bifurque, et l’intrigue perd soudain sa cohérence. Les nouveaux personnages se multiplient, tous dotés, même les plus mineurs, d’une biographie détaillée où le propos du récit s’englue. De la scène épique longuement préparée pour relancer l’action, l’auteur (pourtant orfèvre en la matière) ne nous livre, à force de prises de reculs, d’affèteries narratives et de procédés d’éclatement du discours, que des images fragmentaires, incomplètes et pour tout dire frustrantes. Comme la bataille oppose, de plus, des factions que l’on n’a pratiquement pas vues jusque-là et que les personnages principaux n’y participent pas, l’intérêt du lecteur est vite émoussé. On retrouve là les limites de Dantec qui révèle, une fois de plus, son incapacité à maîtriser une intrigue complexe. Le scénario, de plus en plus décousu, cède la place au pittoresque, voire aux effets racoleurs, et l’intrigue délayée brinquebale tant bien que mal vers une issue prophétique à la Dantec, puisqu’il en faut une. Ce n’est d’ailleurs pas tant l’utilisation de la théorie de Deleuze sur les schizophrènes qui lasse (le sujet s’intègre très bien dans un roman de science-fiction) que le style pesant et sentencieux exhumé pour l’occasion. L’auteur a retrouvé tous ses défauts de jeunesse, et c’est dans un interminable dialogue de gourous entre Toorop, Darquandier (le héros des Racines du Mal) et Dantec lui-même, sous le nom de Boris Dantzic (!), que nous est infligée la révélation des arcanes du récit. Suit, pour ceux qui seront arrivés jusque-là, un pâle épilogue censé injecter une dose d’optimisme dans toute cette noirceur.
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Dantec est un écrivain nerveux, technophile, vous mettant dans la tête de ses personnages en une phrase mais... il abuse !
Si la première partie est digne de ces précédents romans, la deuxième partie du roman plonge dans le délire absolu : chamanisme, délires sémantiques indigestes, scènes digne de blockbusters US.
Décevant et prétentieux.
Et pourtant, il est bon le Maurice... mais pas dans ce roman.
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Pour celles et ceux qui n'auraient jamais entendu parler de ce livre, les résumés officiels donnent un aperçu de l'ambition extraordinaire de l'auteur. Au fil de ces quelques centaines de pages, il balade le lecteur à travers une foule de concepts complexes qu'il ne cesse d'entrecroiser, de l'intelligence artificielle au chamanisme en passant par la schizophrénie.

Pour le regretté Maurice G. Dantec, c'est apparent dans chaque page de ce roman, tout est connecté, et chaque chose est d'une infinie complexité. Partant de ce double principe, sa plume ne se repose jamais, et il n'y a pas un seul personnage, un seul concept, un seul lieu cité dans le livre qui ne fasse pas l'objet d'une digression pour nous expliquer d'où il vient et comment il s'entrecroise avec tous les autres aspects du roman. Rien n'est anecdotique, tout est chargé de sens, tout se perd dans une complexité labyrinthique, à l'infini, comme dans « Tristram Shandy », sauf qu'ici tout est très sérieux.

Pour qui est amateur de littérature à fort contenu conceptuel, ici, on se régale : la manière dont l'auteur connecte entre eux des morceaux de théorie scientifique, de croyances et de géopolitique pour donner naissance à des hyperobjets littéraires, presque trop complexes pour tenir en entier dans le cerveau du lecteur, force l'admiration.

Pour ancrer cette explosion d'informations autour de quelque chose que le lecteur soit capable d'identifier et d'apprivoiser, la trame principale épouse la forme familière d'un thriller, avec un homme d'action revenu de tout qui est mandaté pour protéger une femme mystérieuse. L'histoire en elle-même, cela dit, si on devait la raconter, occuperait probablement moins d'une centaine de pages. Mais comme chaque événement, et en particulier une scène spectaculaire au milieu du livre, nous est raconté de manière fragmentaire, via des points de vue différents, des documents, des pièces rapportées, des conjectures, au final, chaque action occupe une place monumentale. Si on y ajoute de longues séquences hallucinatoires jubilatoires mais touffues, il y a de quoi avoir le vertige.

Qu'au final, on ne soit jamais perdu, et qu'on referme le livre avec des réponses à toutes les questions qu'on pouvait se poser, est à porter au crédit de l'auteur, qui réussit un tour de force. Si on se souvient que le roman constitue une sorte de suite de deux autres ouvrages de Dantec, avec lesquels il partage un univers fictif et dont il reprend les personnages, on ne peut qu'être admiratif que tout cela soit, au final, aussi compréhensible. Un lecteur pourra sans difficultés commencer ici, sans avoir l'impression d'avoir manqué quelque chose.

« Babylon Babies », c'est presque inévitable pour un roman aussi expérimental, souffre de quelques gros défauts. Pour commencer, les concepts avec lesquels jongle Dantec sont si complexes, et il les trouve visiblement si fascinant, que la deuxième moitié du livre est presque entièrement constituée d'explications. Soit le narrateur omniscient nous décrit longuement des situations ou des aspects de l'intrigue, soit un personnage explique longuement à un autre un élément du narratif qui nécessite d'être éclairci. L'intrigue, à ce moment-là, fait pratiquement du surplace. On est à fond dans l'ornière d'une histoire racontée plutôt que montrée.

La boursouflure des concepts est telle que les personnages n'ont presque plus d'espace pour exister. le protagoniste, Toorop, est plutôt bien dessiné, et c'est le cas de plusieurs autres figures croisées au fil de l'histoire, mais le livre ne porte absolument aucun intérêt à les faire exister les uns par rapport aux autres. Si, chez Dantec, tout est connecté, les personnages font exception : ils n'ont pas de sentiments les uns pour les autres, ne partagent rien, leurs relations n'évoluent pas. Ce sont des automates qui s'observent de loin, sans se connaître. Ils ne sont là que pour demander ou pour se fournir des explications les uns aux autres. C'est embêtant, parce que, en particulier dans les dernières longueurs du livre, le livre cherche à s'appuyer sur la complicité entre Toorop et Marie, mais celle-ci n'a pas du tout été établie au fil de l'histoire, ce qui fait qu'une bonne partie de l'impact émotionnel souhaité tombe à plat.

Dernier défaut, dont on ne fera pas grief à l'auteur : le livre est daté. Écrit dans les années 90, il est constellé de références culturelles à cette époque, alors que l'action du roman est censée se dérouler en 2013-2014. Certains éléments récurrents, comme la guerre dans les Balkans, les sectes, les hackers, sont ceux qui fascinaient le grand public à cette période, et ancrent résolument l'oeuvre dans les années de sa parution plutôt que dans celle où est censée se dérouler l'action. Par ailleurs, Dantec n'a pas su prévoir l'omniprésence des réseaux et de la téléphonie mobile, aussi le futur antérieur qu'il nous présente se retrouve parfois en porte-à-faux avec notre vécu actuel. Ça n'est pas grave : la raison d'être de la science-fiction est de parler du présent, pas de l'avenir. On notera aussi un sexisme léger mais omniprésent, où tous les personnages féminins sont décrits en fonction de leur potentiel de séduction, ce qui permet de mesurer à quel point nous avons cheminé en vingt ans.

« Babylon Babies » est une oeuvre géniale mais imparfaite, constamment fascinante mais souvent frustrante, plus facile à admirer qu'à adorer, mais si singulière qu'elle est propre à laisser une marque durable dans la mémoire du lecteur.
Lien : https://julienhirtauteur.com..
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