Les éditions Harper Collins Noir publient le très cosmopolite et baroudeur
James Delargy, né en Irlande mais ayant roulé sa bosse en Afrique du Sud, en Australie et en Écosse, pour finalement se poser en Angleterre. Et c'est à son expérience australienne qu'il se réfère pour l'écriture de "
Sous terre", qui prend pour décor la ville de Kallayee, en plein désert d'Australie occidentale.
Avant même d'avoir consulté la quatrième de couverture et de s'enquérir de l'histoire elle-même, l'illustration et le titre vous orientent normalement vers l'angoisse, l'étrange, le surnaturel, voire l'horrifique.
Mais en réalité, plus on avance dans la lecture, et plus il faut se rendre à l'évidence: ce n'est pas ce à quoi on s'attendait.
Et ce qui vous amène à lire ce roman n'est pas forcément ce qui va finalement vous y retenir.
Le titre original "Vanished", (effacé) nous éclaire un peu plus sur la nature de l'intrigue : un polar, bâti autour de l'enquête ouverte après la disparition d'un couple et de son petit garçon.
Pas le temps d'être déçu,
James Delargy accroche parfaitement son lecteur par un rythme sans temps mort, reposant conjointement sur l'alternance de temporalité et de points de vue des différents protagonistes.
L'histoire repose sur deux périodes. Celle précédant la disparition de cette famille et de ce qui les a poussés à migrer ainsi, à "contresens de tout bon sens" de Perth où ils menaient une vie cossue, vers Kallayee, trou perdu harassé de chaleur suffocante en plein désert australien, ville minière fantôme qui n'offre rien, si ce n'est un havre de fuite pour ceux qui souhaitent se faire oublier.
La seconde période du récit correspond aux recherches menées par une équipe d'enquêteurs, suite à l'alerte lancée par les grands-parents, inquiets de n'avoir plus aucune nouvelle.
L'auteur déroule ainsi, comme deux longues routes, le récit de l'installation de cette famille pour une nouvelle vie dans un no man's land et celui de l'enquêtrice, Emmaline, qui remonte ce chemin pour faire enfin coïncider ces deux trajectoires et éclairer la disparition de la famille Maguire.
La prise de parole de chacun des personnages au sein de chapitres courts dynamise le récit et permet au lecteur de se faire sa propre opinion et de garder un certain recul.
Difficile malgré tout de se trouver en empathie avec ce couple qui semble brûler tout ce qu'il touche, où chacun promène son égoïsme en se heurtant à celui de l'autre, la discorde régnant en maître dans ce couple désireux de se faire oublier mais qui ne sait pas faire profil bas. Et comme si leur mécanique interne largement programmée sur le gâchis et la destruction ne suffisait pas, le contexte de cette ville abandonnée mettra en exergue toutes les tensions.
Et de la tension, ce polar bien ficelé n'en manque pas : de l'arrivée dans ce décor désaffecté à l'installation "façon Macgyver", aux bruits dans la nuit, aux découvertes de traces autour de l'habitation improvisée de la famille et ces étranges apparitions fugaces que seul le petit garçon semble repérer, le malaise monte crescendo, parallèlement à celui intrinsèque au couple boiteux des Maguire.
L'atmosphère est oppressante, à l'image de cette fournaise accablante et qui concourt à dresser un tableau aussi inquiétant que les évènements qui s'y trament . Cependant, je suis restée un peu sur ma faim, car ce qui m'apparaissait au fur et à mesure de ma lecture, ce sont ces décors de carton pâte des studios hollywoodiens des années 60-70, recréant les villes du Far West du 19eme siècle. le roman n'aurait pas souffert que l'auteur dépasse cet aspect de façade pour creuser un peu et habiller le décor de façon plus détaillée et tangible, lui donner des sons, autres que ces vibrations sinistres, lui conférer des odeurs, des couleurs. le tableau brossé reste un peu simpliste et l'étayer n'aurait pu que renforcer la sensation d'étrangeté, dressant un paradoxe entre un monde désertique mais réel, authentique, palpable et la survenance d'éléments menaçants.
Le personnage de l'enquêtrice quant à elle est ébauché, j'aurais aimé en savoir plus, mais elle mène efficacement son enquête, malgré quelques réflexions qui ne s'encombrent pas de finesse et dont on se serait bien passé. On peut se risquer à imaginer que l'auteur aura voulu donner à son héroïne un genre décontracté dans la veine "femme moderne qui s'assume". Dès le début du récit, alors que l'enquêtrice débarque sur un cas de disparition et rencontre un nouveau collègue : "Ils sourirent tous les deux. Emmaline se demanda si cela pouvait les mener quelque part, se sentant envahie par un instinct primal . Cet élan dont la société lui disait qu'elle aurait dû en avoir honte . Mais elle n'avait pas honte. Il n'y avait rien de mal à chasser ou pêcher. Tant qu'on relâchait sa prise" (P.45)
Au final, et bien que ne m'attendant pas du tout à un polar, je suis complètement rentrée dans cette intrigue menée toute en tension jusqu'à son point culminant.