Voilà un ouvrage différent des autres que je n'aurais jamais lu si mon frère n'avait pas été sur la couverture, et si par-dessus le marché je n'avais pas rencontré l'auteur dans une soirée de dédicaces. Parfois, la vie veut à tout prix vous mettre un livre entre les mains !
Je n'avais jamais entendu auparavant parler d'
Emery Doligé. Déjà, parce que je connais très mal le monde des blogueurs, influenceurs et tout cela, mais aussi parce que je le reconnais, peut-être à tort, je ne vais pas sur twitter et ne regarde pas d'émission de télé. du coup je passe manifestement à côté de personnes médiatiques et/ou reconnues. Quoiqu'il en soit,
Emery Doligé m'est apparu très sympathique : d'une part par sa dédicace souriante, d'autre part par ce qu'il dit dans ses écrits.
Concrètement, pour vous qui n'y connaissez peut-être également rien au sujet,
Emery Doligé raconte ses débuts de blogueur en 2004, à l'aube de l'aube des blogs. « Mry » (son petit nom sur la blogosphère) a un blog dont le but principal est bien évidemment de faire de l'audience en n'hésitant pas à commenter tout et n'importe quoi, pourvu que cela interpelle. En mai 2005, alors qu'il n'y a ni Youtube, ni Insta, ni pas grand-chose, Mry poste une photo de Sophie Marceau légèrement dénudée. Cette photo fait le buzz, et Emery / Mry se retrouve avec des milliers de suiveurs. A cette époque-là, tout est cool, les blogueurs sont une petite communauté, heureuse de se retrouver. On en est au début de tout ce monde digital et numérique, l'ambiance est bon enfant ; même si tous courent après l'audience, personne ne se vante de son nombre de followers. Les blogueurs deviennent, les années passant, considérés comme des « influenceurs », même si, comme le dit l'auteur, personne n'influence personne… Ils commencent à recevoir des cadeaux, beaucoup de cadeaux (plus de 1000 euros de cadeaux par semaine pour avoir un ordre d'idées). Puis des invitations… La gardienne de l'immeuble d'Emery en vient à lui consacrer une énorme box pour être en mesure de réceptionner l'ensemble des cadeaux qui afflue vers sa boîte aux lettres.
Emery Doligé ne s'en cache pas : il adore cela. le sentiment d'importance, de pouvoir, l'enivre. L'audience est à son max, et tant pis s'il faut frapper sur quelques têtes pour y arriver (quitte à recevoir des coups par la suite… le prix à payer !). Parallèlement à ce succès, sa carrière professionnelle décolle : chroniqueur, présentateur, conseiller des plus grands. Emery est sur tous les fronts, convaincu d'être quelqu'un de « grand » puisque tout le monde lui renvoie cette image. Image qui ne vient pas de rien non plus car il est clair qu'il s'y connaît.
Une scène m'a particulièrement touchée, sûrement parce que l'auteur nous explique combien il la regrette : celle où sa fille s'ouvre la main et se fait accompagner par sa nounou à l'hôpital, tandis que lui, bien au courant de la situation, continue sa journée comme si de rien n'était.
Mais les blogs n'étaient qu'un phénomène. Sont arrivés par la suite les réseaux sociaux et la sur-digitalisation des uns et des autres, et les blogs ont perdu de leur influence. Les influenceurs (des « linéaires vivants » comme l'explique l'auteur) se retrouvent désormais essentiellement sur Instagram, quelque part dans la mégalopole asphyxiante, qui n'est plus ni une fin, ni un moyen, mais un air brassé inutilement pour éviter d'être présent au moment.
La sociologie du numérique retracée dans cet ouvrage est intéressante, mais elle m'a demandé un effort car le livre n'est pas forcément rédigé chronologiquement donc il faut suivre précisément les indications temporelles pour remettre les écrits dans leur contexte. Dans le monde digital, 2007 et 2010 sont très différentes l'une de l'autre, donc chaque détail permet de comprendre pourquoi l'auteur en était là à chaque moment de sa vie.
Mais plus intéressant encore, selon moi du moins, est le message derrière. Message qui nous concerne tous : aussi grisant que cela puisse être, l'audience ou le succès nous font encourir le risque de devenir accroc à eux en tant que finalité, et de nous détourner d'une lecture des choses pour ce qu'elles sont. J'ai rencontré une femme, Malene Rydalh, qui a écrit sur les illusions du bonheur. Pour elle, il y a 5 illusions fortes dont il faut se méfier : le pouvoir, l'argent, la beauté, le sexe et la célébrité. Depuis qu'elle m'en a parlé, j'y pense tous les jours, comme pour me prémunir de « tomber » dedans, alors que nous mourrons tous d'envie d'y aller. Et bien je dirai que ce récit d'
Emery Doligé est le témoignage d'un mec sur les illusions « pouvoir » et « célébrité », le tout dans un cadre socio-historique intéressant qui nous permet de comprendre et de mettre des mots sur ce monde inconnu : le digital. Attention, il ne s'agit pas de résumer le livre à une équation facile genre le digital = c'est nul, mais bien de faire la part des choses entre ce qui nous sert et ce qui nous dessert.
Un livre dense donc, qui peut avoir plusieurs lectures. Vous connaissez la mienne, à vous de vous faire la vôtre !
Jo la Frite
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