Ce très court volume retrace la vie de
Nicolas de Staël et et tente en premier lieu de trouver une explication à sa fin tragique. Une seconde partie nous propose une analyse par
Edouard Dor du tableau « Le concert » réalisé par
Nicolas de Staël juste avant sa mort.
C'est après avoir peint sa toile monumentale intitulée « Le concert » (350 cm x 600 cm) que l'artiste s'est jetée du deuxième étage de son atelier à Antibes.
Son histoire commence en 1914 sur fond de révolution russe dans le très riche hôtel particulier de sa famille, à Saint-Pétersbourg. Son père est général et commande en tant que second la forteresse Pierre-et-Paul. En 1922 - Nicolas n'a que huit ans - il devient orphelin, reste avec ses deux soeurs et sera recueilli par le couple Fricero, industriels en Belgique.
Arraché à sa terre natale, il fait de vagues études, voyage beaucoup (au Maroc, notamment, où il découvre les sujets qui ont inspiré les peintres orientalistes), suit les cours de l'Académie d'Art contemporain où il rencontre Fernand Léger, puis entre dans la Légion étrangère !
En 1946, sa première épouse, Jeannine, meurt après lui avoir donné une fille, Anne. Il épouse Françoise presque aussitôt, est naturalisé Français en 1948. Il peint et son ami et marchand
Jacques Dubourg vend bien ses tableaux, notamment aux États-Unis.
Il devient l'ami de
René Char, s'installe en Provence où il aura trois autres enfants avec Françoise.
Mais la passion s'empare de lui quand il rencontre Jeanne, femme mariée et mère de famille qui accepte une liaison épisodique qui le rend fou de frustration. Il achète une superbe résidence dans le Lubéron, « Le Castelet ». Il est totalement dépendant de sa maîtresse.
René Char le surnomme « Vermillon » (cf P 27).
Il déménage à Antibes où Jeanne s'est installée avec mari et enfants. Torturé par son « amour d'idiot », il peint les tableaux à la chaîne (266 en 1954!) : peindre devient un « véritable combat ».
Passionné de musique, il assiste en 1955 à un concert proposant une oeuvre d'Anton Webern, compositeur viennois élève de
Arnold Schönberg avec qui il forme la « seconde école de Vienne » en compagnie d'Anton Berg.
De Staël apprécie cette musique novatrice, il ressort bouleversé de la salle de spectacle et tente en quelques jours de restituer son émotion.
Sa création est un éclat omniprésent de vermillon, qui met le feu à la toile et sur lequel se détachent un piano, aux angles vifs et d'un noir coupant, puis une contrebasse aux tons d'ocre cernés de blanc, aux formes féminines, douces et rondes, énorme sur le devant de la scène. Entre les deux, un amas de partitions.
L'analyse de ce tableau s'appuie sur les sentiments et émotions contradictoires ressentis par l'artiste. Une femme - passion, aiguë et intransigeante, une femme- douceur, rassurante et patiente. La première, femme-piano, incarne l'artiste soliste, celle qui occupe la première place. La seconde a pour vocation d'accompagner, doucement. En toile de fond, un éclaboussement intense de rouge vif (« rouge majeur », disait Denis Bayle, dans un livre à lire absolument).
Edouard Dor interprète cette omniprésente tache rouge : un rideau de scène ? Mais où sommes-nous ? Devant, en attente du début du concert ? Ou derrière, morts de trac car il va nous falloir jouer devant un public ?
Le saut du second étage de son atelier à Antibes, le suicide de
Nicolas de Staël, dans la nuit du 16 mars 1955, ne serait donc que l'expression de son incapacité à choisir, à cesser de souffrir entre deux désirs incompatibles ? L'idée est séduisante, la démonstration riche et argumentée.
L'auteur complète son propos par une confrontation avec le « Nu couché bleu », contrepoint intéressant qui apporte de nouvelles interprétations de l'oeuvre de l'artiste.
Un livre riche et passionnant qui vient, en ce qui me concerne, compléter très opportunément une lecture plus ancienne et passionnante également : « Rouge majeur » de Denis Bayle. Tout comme l'auteur, j'aimerais aller à Antibes, au musée Picasso, pour y passer de longs moments devant ce tableau qui m'a laissé une profonde impression.
Merci à Babelio et à sa "Masse critique privilégiée" pour cette belle découverte.