Jusqu'à découvrir ce livre, il semblerait que la plume de Gilbert Dupé, arrachée de quelque sombre et majestueux cormoran, soit plutôt celle d'un solide écrivain de mer, ou du plus fidèle romancier qui toujours retourne à sa terre.
Mais le talent de l'écrivain, finalement, se joue des paysages.
Les somptueuses peintures, indispensables pourtant, ne sont que décors à la tragédie.
Dans une profonde gorge pyrénéenne, sur la route de la frontière, au bout d'un chemin difficile et escarpé, les Noguer, le père et le fils, s'accrochent à leur terre.
C'est un lieu déshérité que les gens autrefois avaient baptisé "les mauvais vents", les "Mauvents" avec l'usage.
Catoune, une jeune fille, d'abord prise prise pour un maraudeur, va faire irruption dans l'existence de ces deux hommes frustres ...
Ici, comme dans toute l'oeuvre de Dupé, le thème central est l'attachement à la terre.
Un coup de fusil annonce le drame.
Un autre va le conclure.
Entre les deux, s'insinue le mensonge.
L'écriture est splendide et son rythme est tourmenté.
Qui d'autre que Dupé, si ce n'est Farrère, peut, sans paraître façonnier pour autant, semer son récit de mots tels qu'endêver ?
Les descriptions sont époustouflantes.
L'intrigue est coupée au cordeau.
C'est une chronique du temps jadis, épaisse et sombre, qui, au détour de chaque ligne, hésite entre le sordide et le pitoyable, l'extraordinaire et le banal.
Gilbert Dupé connaît ses personnages.
Il sait leurs pensées les plus secrètes et nous les livre.
Ce roman, d'une tristesse insondable, est magnifique.
Pourtant, à aucun moment, il ne larmoie.
Le récit est mouvant.
Il imprime son mouvement au fil du changement des saisons, de la transformation des âmes et des paysages.
Gilbert Dupé signe certainement avec "les Mauvents" l'un de ses meilleurs ouvrages.
Et, en 1950, assurant l'écriture du scénario, il en réalisera lui-même une splendide adaptation au cinéma dont les dialogues seront écrits par Jean de la Varende.
Andrée Debar et Charles Vanel y sont Catoune et le vieux Noguer.
La chance serait avec vous si vous ne connaissiez pas ce film.
Car il vous resterait à le découvrir.
Mais le gros lot serait de ne connaître ni le film, ni le livre ...
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Il fallait une tête solide et des poumons d'acier pour vivre en ce déchaînement quotidien, dans ce lieu déshérité que les gens d'autrefois avaient baptisé "les Mauvais Vents", les "Mauvents" avec l'usage.
Une seule famille avait résisté sur le terrible haut, celle des Noguer, faite de créatures insensibles, aussi bien à la solitude qu'aux éléments, possédant, elles, cette tête, ces poumons capables de braver le souffle et l'isolement ...
Jésus - dit-elle - et sa voix était hachée, avec des mots rapides - protégez les voyageurs sur la route, et vous aussi sainte Vierge si douce aux abandonnés.
Conduisez les errants vers la lumière, les égarés vers le feu.
Écartez des précipices les hommes perdus dans la montagne, les pâtres et leurs troupeaux, les chasseurs qui ne voient plus leurs pas, les garçons qui franchissent les cols avec de lourds fardeaux.
Protégez-les des gendarmes.
Catoune se tu un instant, puis ajouta, plus vite encore, on eût pensé avec une sorte de regret :
- Protégez aussi les gendarmes ! ...
Ah ! La misère ne lâche pas son monde ...