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Hacopian-thierry nazik Melik (Traducteur)
EAN : 9782494289406
272 pages
Les Argonautes (02/02/2024)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Niché dans les montagnes près du lac Sevan, un village arménien vit à l’insu du XXe siècle. Des massacres ottomans aux persécutions soviétiques, ce lieu clandestin offre un refuge à qui le souhaite, à condition de se plier aux lois de son énigmatique leader Harout.

Lorsqu’une nouvelle vague de rescapés du génocide atteint le village, la méfiance s’installe : parmi eux se trouve une jeune femme enceinte de l’ennemi. Le destin de celle que les villageo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
« Personne ne savait où se situait le village. On disait que même le temps avait renoncé à se mettre à sa recherche, par crainte que les sommets aigus ne le lacèrent. » Ce village secret dans les montagnes caucasiennes, c'est celui que Perdj et son petit neveu Harout ont fondé pour fuir les massacres dont sont victimes les Arméniens dans l'empire ottoman en 1896. Ce sont les seuls à connaître la route vers le monde extérieur, y ramenant lors de leurs escapades d'autres rescapés du génocide arménien de 1915 puis de l'oppression soviétique.

« On ne posait pas de questions à ceux qui arrivaient au village. Quand un monde s'écroule, on ne pose pas de questions. Ici, chacun est libre d'inventer sa propre histoire, de composer son passé et de l'illustrer comme il le voulait. le village était comme une tombe ; une fois entré, on n'en sortait plus. »

C'est mon premier roman arménien et je suis ravie de découvrir la littérature de ce pays avec Susanna Harutyunyan, écrivaine très réputée en son pays. Son univers est vraiment très singulier, à la fois inscrit dans une réalité historique très sombre pour le peuple arménien, et dans une ambiance, oscillant entre conte et mythe, empreinte de réalisme magique. A la fois hors du temps et très contextualisé, cela m'a fait penser au roman de Gouzel Iakhina, Les Enfants de la Volga.

Comme dans un conte, il va y avoir des épreuves, ici de l'ordre de la survie pour ces villageois qui pensaient s'échapper du monde, alors que le monde cherche à s'y infiltrer pour l'envahir. Comme dans un récit mythologique, les personnages fascinent par leurs comportements extrêmes entre violence primitive et sagesse ancestrale. Difficile d'oublier Harout, le chef brutal mais protecteur ; la belle Nakhchoun dont la grossesse issue d'un viol apporte le déséquilibre ; Sato la vieille guérisseuse sage-femme ou encore Varso l'inlassable conteuse.

Le récit n'est pas toujours facile à suivre, car non linéaire, construit en spirale pour éclairer sur le passé de certains villageois, avant de se projeter sur le futur afin de mieux se réancrer dans le présent. Les fils narratifs ne sont pas évidents à repérer mais une fois qu'on a réussi à en attraper un, on parvient à le suivre dans ses mouvements et à rattraper tous les autres.

Cela déstabilise forcément, d'autant que l'on sent le récit gorgé de folklore et d'histoire arméniens que le lecteur français ne maitrise pas, en tout cas pas moi. Malgré ces possibles freins, le charme a totalement opéré sur moi. le questionnement sur la violence et la mémoire traumatique est puissant. Est-il préférable de tout oublier  dans ce village sanctuaire comme le très vieux Perdj ?

« Et, en une seule nuit, tous les événements et tous les visages s'envolèrent comme des oiseaux migrateurs, en groupes géométriques. Ses pensées s'estompèrent, telles les rides s'effaçant du visage des morts. Même son sang perdit sa mémoire et Perdj devint un roseau creux. Il purgea son cerveau, de façon délibérée, semblait-il. Il enfouit son chagrin, l'enterra dans les tréfonds de son coeur et récura le tout, comme les eaux de la colère de Dieu nettoyèrent le monde. Il n'en resta rien. Aucun souvenir, aucun Noé. »

Peut-on seulement les oublier  dans ce village où les vieillards oublient de mourir pour transmettre la mémoire du génocide arménien ?
« Comme s'ils avaient oublié de mourir, comme s'ils le faisaient exprès pour que la terreur subsiste au village. La vie les abandonnait, la terreur, jamais. Comme un chien fidèle, elle s'accroupissait auprès d'eux, léchait leurs mains et se frottait contre leurs pieds. Même lorsqu'ils n'étaient plus, même si les portes de leurs maisons étaient closes, cela ne changeait rien, la terreur ne s'éloignait pas. Elle errait, passant d'une bouche à l'autre comme les secrets de magie ancienne, s'arrêtant seulement sur des lèvres sûres, pour ne pas être écrite, pour ne pas être gravée et pour ne pas tomber dans des mains malhonnêtes.»

Et puis, il y a toutes ces images marquantes, sublimes que l'écriture poétique et intensément évocatrice de l'autrice imprime vigoureusement dans les rétines.

« Le vent rampait le long de l'échine des montagnes. Dans l'obscurité incandescente de cette nuit d'automne, il frôla le ciel avec un cri étranglé, s'accrocha aux nuages déchiquetés puis dégringola dans la vallée. Là où il chutait, le vent charriait des bruits et de la poussière. Il s'enroulait et s'agitait sauvagement, se collait aux rochers et au sol, rongeait la pierre et les buissons, les égratignant de ses doigts sans ongles, attrapant sa propre queue et l'avalant tandis qu'il glissait. Comme un écorché vif, le vent se déchirait lui-même. »
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L'Arménie en apogée !
S'il est un livre d'effusion et de gloire, viscéral, magnifique, c'est celui-ci.
Palpitant, attachant, vibrant, tout en mouvement, c'est une immersion dans un chef-d'oeuvre.
Magnétique, fusionnel, singulier, le charme de lire autrement.
« Le village secret », l'art de bâtir une citadelle littéraire, entre la magie symbolique, le drame de l'Histoire d'une Arménie martyre. La contemporanéité maquillée dans une légendaire trame. Ici, le renom prend place et incite le lecteur à pénétrer dans un village où tout est différent, en ébullition, en ordre de bataille emblématique.
« Le village secret », près du lac Sevan, nid de brindilles, caché du monde. Les frontières mentales, protectrices, l'armure contre les affres. Vivre dans une marginalité conquise. Tous, en posture d'autarcie.
Des massacres ottomans, aux persécutions, villageois pris en tenaille, dans le cerceau d'un hameau. Les ennemis prégnants, les turcs et les allemands. le génocide, l'infinie douleur pavlovienne.
La langue de ce récit est le feu de St Jean. Superbe et assignée à la lecture à voix haute. Hivernale, l'histoire se mêle à la grande.
L'arrivée au village de rescapés du génocide va brusquer Harout. Lui, le maître du village, lui, qui ordonne, dirige, protège. Il va accueillir ces êtres apeurés. Nakhchoun, une jeune femme violée par l'ennemi. Elle met au monde des jumelles. Sato, la sage-femme, guérisseuse, n'a pu tuer les deux petites filles.
Nakhchoun, « Beauté » pure et silencieuse, biche traquée, lumineuse et mystérieuse, éveille la curiosité.
« Mais ce soir-là, Nakhchoun n'était pas au courant de ce qui avait été décidé pour elle, et, en plus, elle mettait au monde des jumeaux qui criaient avant même d'avoir fini de naître. Tout le monde les entendait de dehors et savaient que c'étaient des cris sains. »
Harout est le veilleur, l'autorité exacerbée dans le seul but d'empêcher les villageois de franchir l'autre versant. Lui seul à la main, lui seul s'autorise les chemins de traverse. Tour de passe passe avec le monde extérieur qui ignore la présence de ce village Alcazar.
Nakhchoun est l'exemplarité, le mimétisme. Sa droiture est l'éthique du village même. Se fondre dans une communauté, dans ce qui échappe au monde. Cache contre la haine, la marginalité comme une bravoure, un pied de nez à l'adversité. Litanie sanglante d'une Arménie qui perd ses oisillons un à un, 1896, 1905 et 1915.
Les meurtres, les souffrances, l'épouvantail des guerres intestines.
Perdy, le père d'Harout qui lui a révélé le secret. Taire les respirations du village jusqu'à la faille ultime. Harout est un homme d'honneur, sombre et ténébreux, mais la bienveillance innée, à l'instar du secours pour la mère et l'orphelin, ses mains rugueuses en coquille.
« Le petit Haroutik venait parfois secouer la corde en crin sur laquelle Harout s'affairait et le supplier de lui apprendre à en faire une.
- Tu es encore trop petit, disait Harout.
- Tresser une corde n'est pas un travail difficile, pourquoi dois-je attendre d'être grand pour cela ?
- Ce n'est pas difficile de la confectionner. Ce qui est dur, c'est de ne pas s'en servir . »
La prose envoûtante encercle les sidérations spéculatives. On ressent les entrelacs des résistances. Un secret pour préserver l'humanité et le tremblant des regards.
Ce livre échappe aux codes de la normalité. Nous sommes dans un entre-monde parabolique, charnel et vulnérable. Un parchemin qui se déroule dans l'orée signifiante de l'idiosyncrasie arménienne.
C'est le mirage d'un conte, d'un fil rouge insurpassable, tant il est la conscience même de la survie.
La prodigalité.
Traduit à la perfection, tant on sent le souffle de la belle Arménie, par Nazik Melik Hacopian-Thierry. Susanna Harutyunyan a reçu le Prix présidentiel de littérature en 2016 pour « Le village secret ». Une voix « influente » de l'Arménie. Publié par les majeures Éditions Les Argonautes éditeur.
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Le village secret Arménien est niché dans une nature au dépaysement assuré et magnifiée par des descriptions majestueuses. Si la nature est lumineuse, la vie des villageois qui vivent en autarcie dans le village secret est aux antipodes. Ces villageois sont tous des rescapés qui ont subit l'histoire de leur pays, dont les familles ont été abattues et décimées violemment en 1895, 1905 ou encore en 1915.

Le village secret vit dans une marginalité absolue, seul leur leader Harout sait comment se rendre dans le monde extérieur. Et lui seul sait ce qu'il s'y passe d'ailleurs, il sait que la guerre gronde là-bas. Il tente de faire régner une sorte d'ordre parmi les villageois et son coeur s'émousse quand Nakhchoun arrive accompagnée d'une nouvelle vague de rescapée. Sa beauté et son ventre rond, engrossée de force par l'ennemi, ne laissent personne indifférent. le monde tourne alors dans un autre sens.

Une galerie de personne peuple ce livre et deux femmes le rendent mystique et mystérieux.
Il y a Sato qui a des pouvoirs de guérisseuse et dont les compétences s'élargissent jusqu'à celles d'une sage femme.
Puis, Varso, cette vieille femme qui alimente les chaumières avec un conte a la fin énigmatique, donne un air de mythe.

Dans ce livre, l'horreur totale côtoie la poésie de la nature, provoquant en moi une ambivalence délicieuse, celle que seuls les livres arrivent à nous faire vivre. Susanna Harutyunyan nous fait sentir le poids de l'Histoire qui pèse sur son peuple arménien, la honte qui glisse dans leur sang et la volonté d'exister autrement que par l'Histoire justement.
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L'Arménie par ses légendes et retraits, ses mythes. Roman enchanté des préservations d'un village qui parvient, croit-il, échapper à l'Histoire quand il en accueille les rescapés et, surtout, quand Susanna Harutyunyan parvient à restituer l'attachement de ses récits, la fragile préservation de sa magie, le poids de traditions dont le respect serait déjà fiction, prudent retrait du monde tel que mal il va. le village secret se révèle un joli récit des horreurs du XXe siècle arménien --- du génocide au communisme --- précisément dans sa volonté d'en dire surtout les manières de s'en soustraire, les façons dont le roman aborde la vérité de ce que nous sommes dans les ellipses, par les récits, et autres pensées de l'immuable, auxquels nous nous confions.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
- Varsenik, quand une personne se montre un peu trop crédule et innocente, c'est un don, répondit Harout, mais quand un peuple entier s'y met, cela devient une vraie tare. Notre défaut a toujours été de croire que l'on peut laver le sang, tandis que d'autres se plaisent à le boire.
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Ici, il n'y avait pas de coupoles qui s'érigeaient ni de stèles sur les tombes, ni même d'ombres de khatchkar s'allongeant à l'heure du crépuscule. Il n'y avait pas de murs, pas de palissades pour clôturer les existences. Les villageois passaient à la manière des lézards, entre les pierres. Ils vivaient auprès des eaux souterraines, cachés. Aucune église, aucune croix, aucun prêtre. Ils avaient vu tant d'églises brûlées, tant de croix détruites, tant de prêtres massacrés, que c'était comme s'ils ne trouvaient plus de place pour Dieu dans leur village. Ils le portaient dans leur cœur, l'invoquaient dans leurs prières mais cela faisait longtemps qu'ils ne cherchaient plus le chemin du paradis céleste.
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Oui, les rescapés vivaient longtemps ici, comme s'ils avaient oublié de mourir, comme s'ils le faisaient exprès pour que la terreur subsiste au village. La vie les abandonnait, mais la terreur, jamais. Comme un chien fidèle, elle s'acroupissait auprès d'eux, léchait leurs mains et se frottait contre leurs pieds. Même lorsqu'ils n'étaient plus, même si les portes de leurs maisons étaient closes, cela ne changeait rien, la terreur ne s'éloignait pas. Elle errait, passant d'une bouche à l'autre comme les secrets de magie ancienne, s'arrêtant sur des lèvres sûres, pour ne pas être écrite, pour ne pas être gravée et pour ne pas tomber dans des mains malhonnêtes.
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Des algues gluantes, des pierres ponces aux nombreux trous, un paysage minéral aussi loin que porte le regard. Les vagues battues par les vents se jetaient obstinément sur les rochers. Dans les profondeurs du lac, l'eau glacée s'agitait, en lutte contre des vagues qui la mordaient telles des sorcières mâchant du plomb. Les rives étant réduites à une masse de fragments ravagée et rocailleuse qui finirait inévitablement par glisser dans cette mer d'Arménie. Mais pour le moment, les vagues rouaient de coups la surface nue et glabre des rives, tandis que les mouettes se regroupaient dans le chaos des rochers.
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Le soleil avait cuit l'air avec des arômes épicés et du vieux thym, le transformant en chrème. Les stridulations des grillons brisèrent l'air brûlé en de multiples éclats, et la dernière lumière se mêla tant à la terre qu'au ciel.
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