Et maintenant, Taalith était captive là, dans cette cour mauresque fermée comme une prison de hautes murailles peintes en bleu pâle, entourées de colonnades de cloître, au milieu de toute l’oppression inquiétante du vieil Alger turc et maure, tout d’obscurité et de méfiance farouche… Elle étouffait là, dans cette ombre délétère, parmi des femmes qui parlaient une autre langue et qui l’appelaient dédaigneusement la Kabyle.
Là, une nouvelle torture avait commencé : son beau-père voulait la remarier, la donner à son associé, vieux et laid. La chair d’amoureuse de Taalith se révolta contre l’union sénile, et elle refusa, farouche.
— J’aime Rezki ! répondait-elle à sa mère quand elle lui parlait de sa jeunesse et de sa beauté, pour la décider.
Et c’était vrai. Elle aimait l’époux amant mort, celui dont sa chair gardait le souvenir douloureusement doux.
Mais, devant l’insistance énervante de sa mère et la brutalité de son beau-père qui la battait cruellement, Taalith sentit l’inutilité de la lutte sans issue. Et puis, n’aimait-elle pas le mort, ne lui était-elle pas fidèle, ne se sentait-elle pas seule et incapable d’un nouvel amour ?
Son visage brun aux longs yeux de caresse triste, au front tatoué et à la bouche tendre se raidit, se tira en une maigreur maladive. Une flamme étrange s’alluma dans son regard assombri.
Un jour, elle dit à son beau-père :
— Puisque c’est écrit, j’obéirai… Puis, toujours plus silencieuse et plus pâle, elle attendit.
Rencontre avec Leïla Sebbar & Manon Paillot animée par Patrice Rötig
Lecture par Frédéric Mitterrand
Après Je ne parle pas la langue de mon père et L'arabe comme un chant secret, Lettre à mon père est le dernier volet, le plus tendre et le plus violent, de la trilogie autobiographique de Leïla Sebbar. Pour la première fois, elle ose, outre-mort, une adresse directe à son père Mohamed dont le silence l'a tenue loin de son roman familial, qu'elle écrit dans la langue de sa mère, le français. Sans fin elle l'interroge, et il ne parle guère.
Au cours de cette soirée nous évoquerons également un recueil de récits et nouvelles où Leïla Sebbar nomadise avec Isabelle, son héroïne, sa muse, Isabelle Eberhardt ; un ouvrage préfacé et édité par Manon Paillot.
Enfin, par la voix de Frédéric Mitterrand, nous entendrons différents extraits.
À lire – aux éd. Bleu autour : Leïla Sebbar, Lettre à mon père – Leïla Sebbar & Isabelle Eberhardt (nouvelles), préface de Manon Paillot, 2021.
+ Lire la suite