Dans sa collection de oneshots, Akata semble aimer à la fois expérimenter et parler de sujets chocs, ici ce nouveau titre réuni les deux. Avec sa couverture aux accents arts nouveaux,
Sous la Lune de Taisho a de suite attirée mon attention. Puis en écoutant les explications du directeur de collection d'Akata (lien), j'ai définitivement su que ce titre serait pour moi. Avec des thématiques telles que l'occidentalisation du Japon au début du XXe, la condition de la femme ou la critique d'une société de classe, forcément le titre me parle. Mais c'est aussi l'occasion de découvrir le travail d'
Hiromi Ebira qui a déjà plus de 20 ans de carrière derrière elle et dont c'est la première publication en français. C'est une mangaka comme je les aime, qui dessine souvent des oeuvres imprégnées d'une ambiance très japonaise, flirtant souvent avec le fantastique voire l'horreur. J'espère donc qu'on la recroisera chez nous.
Mais de quoi parle
Sous la Lune de Taisho ? Comme le laisse présager son illustration de couverture,
Hiromi Ebira va nous plonger en pleine tragédie romantique (mais dans le sens du courant artistique du XIXe) entre un jeune médecin anticonformiste qui vient de revenir d'Allemagne où il a fait ses études, et une belle aristocrate, qui se sent littéralement étouffée par son rôle. On sait dès le début que ça ne peut pas bien finir et c'est la chronique de ce drame annoncé que nous allons suivre.
La première chose à souligner avec ce titre, c'est son ambiance très particulière. Nous sommes en plein coeur de l'ère Taisho (1912-1926) et l'histoire parle d'un amour entre deux êtres de classes différentes, l'une est une aristocrate, l'autre un roturier. L'ambiance est donc pesante dès le début. Ils savent qu'ils vivent quelque chose d'interdit par la société, ils savent que ça va leur retomber dessus et ils se contiennent donc énormément. A la lecture, cela se ressent par une certaine lenteur dans la narration et une certaine froideur dans l'écriture des personnages. On sent ceux-ci terriblement sur la réserve, la retenue, presque comme des statues de cire. C'est beau mais très perturbant. Alors quand les masques se fissurent et que les sentiments échappent à leur contrôle, même le temps d'un bref regard ou d'une subtile rougeur, on se prend une vraie claque.
Hiromi Ebira retient ainsi au maximum ses effets mais nous les distille ensuite avec une brutale efficacité. Mais je pourrais comprendre que cette ambiance étrange ne plaise pas à tous.
C'est la même chose avec les personnages. Ils sont tous plus étranges les uns que les autres selon nos normes. L'héroïne est digne de celles des plus beaux drames de la littérature française du XIXe. Elle est toute en beauté, retenue et dignité, mais un feu ardent se cache en elle. Il lui est juste impossible d'échapper aux carcans dont la société la entourée. le docteur auquel elle se lie, lui, est un homme droit, franc et honnête, qui aimerait l'aider mais qui est lui aussi coincé par les valeurs qu'il se croit obligé de suivre. Vient ensuite l'entourage de l'héroïne, que ce soit ses domestiques ou sa famille proche, ils ont une vision horrible de ce qu'elle doit être : "un outil de reproduction" et ils l'enferment dans une position terrible. le pire étant son époux, j'ai rarement vu pire ordure. Il profite énormément du fait de l'avoir épouser mais la traite comme une merde, c'est révoltant !
On se retrouve donc à lire une critique de la société de classe et surtout de ce Japon du début du XXe qui en voulant imiter les occidentaux, a introduit une aristocratie fictive complètement dépassée où le rôle attribué aux femmes est encore plus rétrograde que chez ses modèles. A vouloir se moderniser, ils ont fait tout le contraire. Et en lisant cette histoire, avec notre regard d'individus du XXIe siècle, on ne peut que commettre l'anachronisme de trouver cela triste et révoltant. En cela,
Hiromi Ebira réussit parfaitement son effet. le drame qui se joue devant nous ne peut que déclencher des émotions en nous, certes différentes selon les individus j'imagine, mais on ne peut pas rester insensible face à cette histoire.
La beauté et la précision du trait de la mangaka y sont pour beaucoup, je crois. Honnêtement, il y a une profondeur incroyable dans ses planches, que ce soit dans le choix des cadrages, dans le découpage de certaines certaines ou juste dans le choix des expressions des personnages. Tout est choisi avec soin pour refléter le bon sentiment au bon moment. C'est frappant. En plus, les dessins sont sublimes. Il suffit de voir la beauté des visages, mais aussi des vêtements des personnages. Avec son trait fin, elle sublime complètement le côté tragédie historique de son récit. Les décors sont également très réussis, riches en détails et parfaitement assortis à l'époque choisie. On ressent très bien à la fois les lieux et ambiances typiquement japonais sur le déclin, et la montée en puissance écrasante de l'empreinte occidentale.
En conclusion,
Sous la Lune de Taisho d'
Hiromi Ebira fut une réussite pour moi. Il s'en dégage vraiment quelque chose d'à part qu'on a très peu dans les titres publiés chez nous. J'y ai retrouvé le plaisir de lire un bon drame romantique dans une ambiance historique à l'ancienne. Les dessins de la mangaka sont sublimes et l'ambiance très réussie même si elle est vraiment particulière. Les thèmes abordés me parlent. J'espère revoir cette autrice chez nous prochainement.
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