Magique ! Une nuit d'insomnie au fil de l'imagination et des souvenirs du personnage, une nuit de dérive au gré des flux de sa mémoire, un ravissement, au sens propre, où l'auteur m'emporte au fil de ses réflexions, digressions et références. Il valse avec le présent, ses souvenirs, ses impressions, ses rencontres, son savoir inépuisable (et parfois épuisant) et illumine tout ce qu'il touche, suscitant des images, des envies, des nostalgies, et l'envie de se laisser porter dans son sillage pour embrasser tout ce qu'il offre, qu'on devine, qu'on connaît vaguement ou qu'on ignore complètement. On a envie de fumer de l'opium, de retourner à Vienne, de se perdre dans les rues d'Istanbul, d'écouter les musiques et de lire les livres qui peuplent le roman. Il balaie un Orient rêvé, réel et fantasmé ; chaque fois qu'il arrête sur un sujet, ou l'ombre d'un sujet, il en fait fleurir une myriade d'étoiles, poussière d'étoiles, étincelles, l'éclosion de possibles oubliés ou insoupçonnés. de la nuit de ses insomnies surgissent des phrases musicales, des paysages, des villes, des ruines, des personnages réels ou mythiques, ou mythifiés, son orient remonte aux sources de l'antiquité, s'aiguise à Istanbul, s'attarde en Iran, aux déserts de l'Irak, aux fouilles des archéologues, se projette jusqu'à l'Extrême (orient). Il peuple son errance de rencontres où un 19ème siècle entêté est obstinément présent, avec pour compagnons de voyage
Goethe, Liszt, Beethoven,
Balzac,
Henri Heine… qu'il nous fait rencontrer au détour d'une phrase, d'un voyage, comme il nous fait rencontrer leurs amis, leurs amours, leurs quêtes de quelqu'un ou de quelque chose. C'est un art de la digression, une forme de conversation qu'on écoute bouche bée, épaté et subjugué au hasard, par « …ces capitales au début du 19ème siècle où les orientalistes fréquentaient les princes, les
Balzac et les musiciens de génie », et où l'on se met soudain à chercher sur Youtube « Avec la garde montante » drolatique (dans Carmen, Bizet), ou bien La Bénédiction de Dieu dans la solitude (où Liszt apparaît miraculeusement dépouillé des torrents de notes hystériques auxquels -béotienne- je l'associe.)
La promenade baguenaude dans « un orient fantasmé, conforme à l'image que notre jeunesse avait construite du mythe oriental » et dérive jusqu'à l'orient sauvage du 21ème siècle, où tous ces lieux sont en proie à la guerre, brûlent ou ont brûlé. »
Son fil d'Ariane, c'est une histoire d'amour manquée avec Sarah, mystérieuse, envoûtante Sarah qui sait tant de choses inattendues, non convenues, et maîtresse en orientalisme qui l'attire depuis Vienne dans les dédales d'un Orient et d'un amour inassouvi, comme un mirage.
Tout le roman est une quête de ce qui nous imprègne et nous échappe éternellement : l'autre.