Ce tome fait suite à Salvation et il contient les épisodes 51 à 58, ainsi que le numéro spécial "Tall in the saddle". C'est l'avant dernier de la série.
Dans le tome précédent, Jesse Custer s'est livré à une remise en question grâce à l'aide d'une petite ville et d'un industriel aux moeurs particulières. Ce temps de réflexion lui a permis de remettre de l'ordre dans ses priorités : (1) retrouver Tulip O'Hare et (2) trouver Dieu. Les 2 premiers épisodes sont consacrés à Tulip. Elle finit par trouver une issue à sa relation compliquée avec Proinsias Cassidy et elle décide de demander l'avis d'Amy Grinderbinder quant à ce qu'elle peut faire du reste de sa vie. Ce changement de mode de vie est entrecoupé par des scènes de son passé (de sa naissance à sa rencontre avec Jesse Custer.
Par la suite, Jesse Custer est de retour à New York pour se renseigner plus sur la personnalité de Cassidy. Il rencontre une femme qui l'a bien connu lorsqu'il fréquentait un bar à New York avec des amis irlandais. Elle complète les blancs laissés par Proinsias lorsqu'il avait évoqué son passé dans Proud Americans. Pendant ce temps, Herr Starr rencontre un membre du Grail qui dispose d'informations le contrecarrant dans ses projets. Et la chanson d'Arseface devient un tube qui se place en tête des ventes aux États-Unis.
Avec ce tome,
Garth Ennis donne une part plus importante aux relations entre les personnages qu'à l'action. Il y a bien sûr des moments "Ennis", ceux qui choquent, qui provoquent, qui assument un mauvais goût dérangeant : la perte d'une main du père de Tulip, sa mort, une tentative viol collectif (très dérangeante, la détresse de la victime ne permet pas le voyeurisme), un soupçon de cannibalisme (pas joli à voir), la perte d'une dent, 2 castrations (l'une chimique, l'autre physique), etc. Mais ce qui prédomine, ce sont les scènes de dialogues entre les personnages et ils en ont des choses à ce dire. Pour éviter de trop dévoiler de moments clefs, je vais me concentrer sur un épisode pendant lequel Jesse Custer effectue un trajet en voiture et il prend quelques autostoppeurs. le premier est un acteur de film porno qui explique comment il a été mis sur liste noire suite à une petite boulette et dans quelle mesure les États-Unis restent pour lui le pays des opportunités et des secondes chances. Puis il prend en autostop les enquêteurs sexuels Bob Glover et Freddy Allen qui abordent la question de la libre entreprise et de comment réaliser son rêve. Entre chaque nouveau voyageur, la radio déverse son flot d'insanités partagé entre l'ascension provocatrice d'Arseface, un débat outré opposant une féministe et un phallocrate convaincu. Et pour finir Jesse Custer ouvre sa portière à l'un des mythes de l'Amérique moderne pour une conclusion sur la foi que les américains et les immigrés place dans ce pays des possibles.
Garth Ennis continue d'explorer la fascination que les États-Unis exercent sur lui et le revers de la médaille quand le premier crétin venu (ou le pire salaud) a les mêmes chances que tout le monde.
Garth Ennis marie l'horrible, le burlesque, le grotesque et le poignant dans un récit gargantuesque irrésistible. J'ai connu un élan de sympathie irrépressible quand Hoover a réussi à compter jusqu'à 3 millions de grains de sable.
Steve Dillon continue d'assurer la mise en images de ce récit captivant, sans rater un seul épisode. Grâce à l'usage de traits très fins, chaque personnage acquière une profondeur inespérée, ainsi qu'une fragilité qui les rend tous très humains. Dillon compose avec la même sophistication les scènes d'action que les scènes intimes. Chaque conversation devient un lieu d'échange qui met en valeur les facettes des uns et des autres, sans jamais tomber dans les expressions faciales outrées ou exagérées, avec une mise en scène sophistiquée et efficace. Il est loin le temps des premiers tomes où un dialogue se limitait à des cases ne contenant que des têtes avec des phylactères, toujours dessinés sous le même angle.
Steve Dillon a acquis un savoir faire exceptionnel pour ces séquences. Les visages des personnages s'impriment à jamais dans votre mémoire : Amy incrédule sous l'assaut des violeurs, Cassidy charmeur comme pas deux, Bob Glover ému aux larmes par ses propres souvenirs, Joe Soap plein d'une foi inébranlable dans la vie malgré sa castration chimique indue, etc.
Steve Dillon sait transcrire n'importe quelle émotion sur les visages, aussi ténue soit elle, aussi fugace et nuancée qu'elle puisse être.
Ce tome se termine avec le numéro spécial "Tall in the Saddle" qui est consacré aux frasques de jeunesse de Jesse Custer, Tulip O'Hare et Amy Grinderbinder.
Garth Ennis s'est offert une grosse farce qui tâche sur la relation particulière qu'entretiennent les texans avec leurs chevaux. Les 3 amis sont enrôlés par un shérif à la retraite pour mettre fin à un trafic reposant sur des vols de chevaux destinés à alimenter les boucheries chevalines de France. C'est du gros qui tâche avec force référence aux coutumes associées aux sanctions qui attendent les voleurs de chevaux (non pas le goudron et les plumes, mais la pendaison). Les français en prennent pour leur grade avec un fin gourmet gras du bide dont le goût pour la viande chevaline s'apparente à un crime contre nature. Les dessins ont été réalisés par john McRea qui s'est appliqué à singer le style de
Steve Dillon. Il est plus précis qu'à son habitude, mais le choix de s'inscrire dans le style du dessinateur régulier fait surtout ressortir son manque de finesse.