Une précieuse incursion dans la facette la moins connue de l'art acéré du grand penseur allemand contemporain : celle de sa poésie joueuse et malicieuse, ironique et incisive.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/03/14/note-de-lecture-poemes-1980-2014-hans-magnus-enzensberger/
Autre reflet d'une vie et d'une pensée foncièrement multiformes, la poésie de
Hans Magnus Enzensberger, même lorsqu'elle prend les atours du bucolique, du lyrique et de l'intime, demeure toute de narration et de spéculation. Comme dans les poèmes de « Mausolée », pendant poétique et quasiment épique de «
La structure des révolutions scientifiques » (1962) de
Thomas S. Kuhn, avec ses évocations fiévreuses et caustiques des grandes figures du progrès en sciences, qui précédaient ceux de ce volume, chaque poème ou presque est doté d'une ou de plusieurs intentions : là où toutefois le risque de l'essai en vers aurait peut-être piégé d'autres auteurs moins avertis ou moins talentueux, c'est ici une malice sans fin qui se déploie, utilisant pour carburant les matériaux les plus inattendus, souvenirs d'enfance et comptines célébrissimes, fables détournées et relectures de classiques allemands ou étrangers, anecdotes mythologiques et saynètes historiques, clins d'oeil enfuis aux anciens camarades du Gruppe 47 et signes annonciateurs des guerres civiles moléculaires, ou encore percées géographiques soudaines et faits divers feutrés. Au-delà de leur beauté et de leur pertinence propres, ces poèmes proposent aussi une heureuse perspective sur la manière dont se forgent les concepts chez le penseur allemand, et sur son art bien particulier d'entrechoquer le scientifique et l'imaginaire, les données objectivées et la spéculation intellectuelle expérimentale, pour produire son regard si acéré sur l'histoire moderne et contemporaine, sur la manière dont la science néglige son rôle politique (avec toujours cette secrète et étonnante convergence avec le travail d'un
Kim Stanley Robinson, dans un tout autre domaine apparent), ou sur la manière dont les figures héroïques – victimes notamment de cette médiocrité qui le hante – ont perdu une trop importante partie de leur puissance combattante face au capitalisme tardif, plus que jamais dévastateur dans son refus de prendre réellement en compte ses propres effets pervers.
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