Disons-le tout de suite, ce roman est pour moi un vrai coup de coeur !
Je ne savais pas à quoi m'attendre : j'ai été gâtée. Cet essai biographique m'a replongée 25 ans en arrière, à l'époque de mes études en sociologie. Tout me parlait dans ce récit, chaque page faisait écho avec mes études, mes anciennes lectures ou ma vie tout simplement. A travers son récit de vie,
Didier Eribon met en lumière les principes de courants sociologiques qui m'ont été enseignés lors de mes études. J'étais étudiante à Nantes, et Bourdieu était alors notre maître à penser... enfin, celui de nos professeurs au moins. Nous avons été façonnés par le prisme de la domination sociale, des Héritiers et de la Reproduction, de la conscience des classes sociales, de la conscience politique et des luttes des classes aussi. On nous a présenté les Habitus, qui sont tous ces codes qui façonnent un individu dans un groupe social et lui permettent d'avoir les clés pour se mouvoir dans son milieu. On nous a parlé des Transfuges, ces personnes que la vie déplace de milieu social, et qui parfois doivent s'éloigner de leur ancien milieu pour mieux s'intégrer dans le nouveau, qui ressentent
la Honte sociale mais aussi une certaine forme de culpabilité vis à vis de leur milieu d'origine, de leur famille.
A travers son parcours personnel d'enfant de milieu populaire qui rompt avec sa famille pour mieux intégrer le milieu intellectuel qui est le sien aujourd'hui, c'est de tout cela dont nous parle
Didier Eribon. Ce récit est passionnant, foisonnant, d'une grande richesse. Il y parle du monde "ouvrier" qu'il a connu dans l'Est de la France, des engagements politiques, du Parti qui était comme une famille, de la Gauche qui a trahit les siens pour parler au nom des ouvriers tout en étant issue des milieux bourgeois. Il y parle de l'école qui ne fait rien d'autre que de reproduire les élites, et ce, quelle que soit la bonne volonté des enseignants. Il nous parle de cette mythologie de la méritocratie qui a pour seul mérite de permettre aux classes dominantes de se donner bonne conscience.
Ce récit m'a passionnée aussi parce qu'il me parle un peu de moi, de ma famille aussi [...]
Par rapport à l'auteur, j'étais dans l'entre-deux : j'avais des codes et ma famille les ressources me permettant de financer mes études (à l'université s'entend), d'où une certaine culpabilité vis à vis de certaines de mes amies. Mais il me manquait sans doute des clés pour choisir des parcours plus en vogue (je ne saurais d'ailleurs pas dire lesquels). Contrairement à l'auteur également, je n'étais pas en rupture avec ma famille et mon milieu, je n'ai jamais aspiré à plus/mieux, pleinement consciente aussi de la chance et des atouts que je pouvais avoir par rapport à d'autres, et ce depuis le début de ma scolarité au cours de laquelle j'ai bien vu la sélection se faire (même si je ne m'en suis pas rendue compte tout de suite).
Didier Eribon, lui, a dû quitter le système plus rapidement, car il lui fallait gagner sa vie.
Le hasard des rencontres, son goût du travail, des lectures et ses capacités lui ont néanmoins permis de raccrocher les wagons, pour le plus grand bonheur de la lectrice que je suis devenue. La nécessité de la rupture aussi sans doute, a permis ce parcours atypique. Une rupture rendue nécessaire par ses aspirations "intellectuelles" mais aussi par une sexualité en dehors de la norme.
Et aujourd'hui, qu'est-ce qui a changé pour les jeunes de 2021 ? Rien. Tous ont le bac, beaucoup vont à l'université... mais cela ne vaut plus grand chose aujourd'hui : comme le souligne
Didier Eribon, la sélection se fait ailleurs.
Bref, vous l'avez compris : j'ai adoré ce récit. Et j'ai noté tous ces auteurs dont
Didier Eribon parle et que je me promets de lire très vite, au premier rang desquels
Annie Ernaux que je me suis déjà promise de lire après avoir lu
le coût de la vie, de
Deborah Levy. Elle parlait alors de
la place des femmes,
Didier Eribon évoque
la honte sociale.
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