La sève attend
APRÈS LES RIGUEURS INHUMAINES / DU GEL…
Après les rigueurs inhumaines
du gel qui tout saisit, met sous verre
et fige les distances entre les corps,
dans le feu de l’action se reprend
à vivre un mouvement — marcher,
d’ardent désir rester sur le qui-vive
qui fait la force même des oiseaux
réunis en V dans le ciel ou dans le lac glacé,
à remuer pour garder l’eau libre, fendre l’air
contre le froid qui congèle
tout paysage où n’aurait passé
un seul mouvement d’oiseaux en pointillés
qui marchent, non volent, non nagent,
laissant dans le tableau leurs empreintes
inscrites, tels en hiver les livres où par chance
la neige n’a pas tenu, parcourue de signes
au charbon qui sont cause de sa perte, la fonte
au feu des yeux qui les poursuivent.
contre le froid
Un jour de joie en 2100…
Un jour de joie en 2100,
du haut de votre héritage génétique,
trousserez-vous encore des lettres
à flamber la vie, la donner, la perdre,
trousserez-vous encore des lettres
comme autrefois d’amour la missive
écrite à l’être cher sur du papier, du temps
où la main conduisait les mots jusqu’au bout,
furtive, crayonnant, esquivant sans cesse,
par la gageure et l’urgence mise en hâte,
à resserrer nuitamment les textes d’amour si denses
qu’en fin de ligne il fallait les couper, les mots,
pour gagner du terrain sur la page,
que le blanc, ce gâchis, ne résistât pas
à tout l’amour déversé à l’encre – à l’encre ! ‒
à redire, ininterrompu, je t’aime recto verso
puis dans la marge à la verticale,
tisser finalement par-dessus les phrases
fraîchement alignées l’inextricable amour, presque à l’en-
vers sur le papier.
à l’être cher sur du papier
Les fruits de mer souffrent-ils quand on les ouvre…
Les fruits de mer souffrent-ils quand on les ouvre,
qu’est-ce, la douleur, chez les mollusques, c’est à ça
que s’emploie à penser un mangeur d’huîtres
un midi solitaire face au port
recroquevillé dans son enrochement
d’où la mer est absente, au plus bas, on voit
les hectares de jardins cultivés sous l’eau,
conchylicoles, ostréicoles, impossibles
à prononcer à marée haute,
à l’heure où les mangeurs ressortis
le ventre plein d’animaux morts
traversent la jetée, vont voir la mer qui s’agite,
coefficient fantastique, repousser plus loin
la ligne de varech et de coquillages
qui gradue chaque jour la plage et les bois
naufragés où les regrets s’incrustent
contre vents et marée,
berniques.
incrustations