Dix postures pour cueillir les mûres :
D’un fruit couleur de feu sous la verte ramure
Paul-Jean Toulet
Les Contrerimes
Trop verts, etc. Les mûres font des buissons parfois si hauts qu'on songe à repartir en citant La Fontaine. Mais les mûres sont bien mûres, où trouver la parade ? Legs aux oiseaux, largesse de cœur, énième consolation.
Allégée de ses fruits la grappe atteinte à bout de bras progressivement remonte jusqu'à n'être plus touchable il faut redoubler d'effort pour finir la cueillette, membres étirés vers le ciel, prêt aussi à tomber.
Et puis soudain la main qui n'en peut davantage saisir laisse s'échapper la prise. Évadées mûres dans les fourrés, débuts d'une spirituelle morale à propos des yeux plus gros que la paume. Mûrement réfléchie
La mûre est si mûre — trop elle-même — qu'on la cueille finement au bord de l'infatuation, toute à ses pensées autarciques dont elle est oppressée ; la voilà qui s'exprime. Pur jus.
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ÉLOGE APPUYÉ DES BANCS
Usant d’un carnet tête-bêche pour écrire, le remplir à l’endroit de ceci, à l’envers de cela, il sait qu’un jour les deux gageures, vers et prose qui progressent, vont se rencontrer, former un front redouté. L’une gagne du terrain – elle en est presque à la moitié du calepin –, quand l’autre ne hâte pas le pas. Piétine, même, tant l’avancée est mesurée. Prose et poème… Ainsi font les bavards du banc aux côtés des taciturnes – ou des résolument silencieux. Tempos et blancs.
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Plus que celle qu'on rêva de loin …
Plus que celle qu'on rêva de loin, sans l'atteindre, celle qu'on eut dans la paume et la peau, et qui s'éloigne, reste cruelle, prépotence de la perte — palpable, pour ainsi dire.
Au bout d'un temps la couleur du sang sur les doigts révèle que l'assassin est gaucher, et vers quelle heure la cueillette fut perpétrée : le sang des mûres a séché, noir.
Tandis que la récolte en silence des cassis — même recueillement — renvoie aux jardins d'enfance chez une aïeule ou une voisine antique, la mûre est familière mais non domestique. Sauvage, du domaine des champs.
Usant d’un carnet tête-bêche …
Usant d’un carnet tête-bêche pour écrire, le remplir à l’endroit de ceci, à l’envers de cela, il sait qu’un jour les deux gageures, vers et prose qui progressent, vont se rencontrer, former un front redouté. L’une gagne du terrain – elle en est presque à la moitié du calepin –, quand l’autre ne hâte pas le pas. Piétine, même, tant l’avancée est mesurée. Prose et poème… Ainsi font les bavards du banc aux côtés des taciturnes – ou des résolument silencieux. Tempos et blancs.
Se faire cueillir …
Se faire cueillir dans le jargon des truands résulte souvent d'u piège où les noirs gangsters sont tombés. La mûre cette nuit fut victime de sa propre noirceur ; les ronces n'ont pas bougé la moindre épine quand le vent a soufflé.
Le doigté que requiert la cueillette a tout du geste du rhéteur pour expliquer, dans un bouquet de doigts, de quoi il est question : une idée essentielle rassemblée en grappe. Dextérité des mots.
À contre-jour les mûres font u n buisson dont on ignore la couleur ; Met-on la main en visière — tout est crépusculaire —, on discerne encore mal le rouge et le noir : dans l'épaisseur du soir les ténèbres abondent.
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