Goran Fijic possède parfaitement le français et on se laisse emporter dans cette lecture. On pense à ces récits de vie destinés à nous donner à voir, en toile de fond, les évènements du monde. En un déroulement chronologique, sans fioriture, avec clarté et simplicité, il déroule le fil de sa vie. Et l'on prend du plaisir à suivre ses pérégrinations. Au détour de ces anecdotes apparaît une description de l'ex-Yougoslavie. Sa vision en est critique et il transparaît une certaine amertume. On suit aussi au fur et à mesure de ses différents postes diplomatiques les tentatives de médiation mises en place avec plus ou moins de bonheur dans plusieurs pays du monde.
L'auteur, fils d'Ambassadeur, a eu une enfance privilégiée, à l'instar des famille de diplomates, dans plusieurs pays.
Le quotidien qui est décrit montre que les ambassadeurs de la République Fédérative Socialiste de Yougoslavie ont eut à peu près le même train de vie que les autres : voitures de fonction, belle villa, accès aux meilleurs établissements scolaires, personnel à disposition. En URSS, en Argentine, en Suisse, aux Pays Bas, en Egypte… Il y suit un père qui rêvait d'un développement heureux de l'autogestion yougoslave au sein d'une politique de non alignement, menée par la génération de la seconde guerre mondiale, anciens résistants, convaincus qu'ils travaillaient à mettre en place un monde meilleur. Avec quelque amertume il constate que ces hommes de convictions ont été petit à petit remplacés par de médiocres bureaucrates.
Ses études de sciences économique à la faculté de Zagreb en vue de contribuer au développement économique de son pays le laissent assez désemparé devant des théories autogestionnaires qui lui semblent absconses.
Le service militaire lui fait entrevoir une réalité quotidienne décevante. Un ordre sale, machiste et humiliant.
Finalement ses études le mène à une carrière diplomatique. Il écrira « des rapports avec honnêteté, en bon rédacteur ». En 1970 la Yougoslavie est alors en plein déclin.
Il semble naviguer à vue tout au long de sa vie dans ce contexte. Il avoue que son éveil politique est tardif, qu'il était partisan de la fédération Yougoslave et s'élève contre le nationalisme.
Tout en montrant sa vie d'émigré privilégié en France, il tente de réfléchir sur la question des racines que l'on peut garder, de la patrie, qui implique un enfermement, lui qui a connu l'éclatement de son pays.
Une de ses missions le conduit à Rome pendant les années de plomb. le compromis historique du PCI, l'assassinat d'Aldo Moro alimentent son questionnement.
Après d'autres postes il retourne en Yougoslavie en 87 pour y constater les ravages de la crise économique, l'inflation, la montée des nationalismes. Chacun voulant tirer partie de ces richesses : agriculture, tourisme, produits d'exportation.
90, 91 sont des années de négociation. Il fait alors partie de la « Commission sur la Yougoslavie » à La Haye au sein de la délégation fédérale avec Ante Marcovic, premier ministre de la Yougoslavie. Il y constate le peu d'écoute entre les protagonistes, la continuation de la guerre. On voit que l'Europe propose une séparation à l'amiable tout en négociant avec les seigneurs de guerre.
Pour lui il n'y a pas de complot mais faiblesse, confusion, simplisme, absence de stratégie et de consensus.
Avec le passage des tanks partant pour Vukovar il prend la décision de partir. A posteriori il voit les Balkans comme « les bas fonds de l'Europe, terre de peur latente, de bigoterie provinciale, de trafics douteux, de soif de vengeance » avec un déficit de démocratie, l'absence d'un espace civique commun.
Il n'est pas retourné à Mostar depuis la guerre. Il montre une grande pudeur. Il pense qu'il n'y avait aucune inéluctabilité à cette guerre car il n'y avait pas de haines ancestrales même si existait une complexité économique, culturelle, linguistique.
Sa carrière diplomatique au sein de l'ONU nous emmène dans des pays en déshérences, Haiti, Afrique du Sud , Guatemala, Afghanistan… Massacre, pollution, corruption, désastre écologiques, génocides avec la culpabilité due à l'abandon des populations.
Voilà donc une vie plus que remplie qui étonne le lecteur bien au chaud dans son salon.
Il termine son récit par un voyage de retour en Croatie et Serbie avec la mer, les cascades, les villages, la reconstruction et surtout partout les traces de la guerre. Il nous fait découvrir le monastère de l'Archange Michaël construit en 1350 par la princesse Jelena, demi-soeur de l'Empereur serbe Etienne, mais aussi épouse de Mladen Šubić, noble croate de Skradin et de Bribir.
Tout cela laisse un peu un goût amer mais nous laisse à penser !
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